David Cosandey
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Le Secret de l'Occident servant d'inspiration principale,
encore que pas explicitement cité, pour le cours
d'histoire économique du monde, daté d'août 2001, de Pierre-Cyrille Hautcœur,
alors professeur d'économie à l'Université d'Orléans
(raccourci 1, raccourci 2).
Copie de sûreté: août 2002. Source (plus disponible). |
Cours d'histoire économique
Pierre-Cyrille
Hautcœur
Université d'Orléans, automne 2001
INTRODUCTION GENERALE
Mise à jour : 30 août 2001
Introduction
I. Les enjeux : l'Europe
et le monde.
1. Domination
européenne actuelle
2. Depuis quand dure cette domination ?
3. La caractéristique majeure de cette domination : la supériorité
économique
4. Transition démographique et domination européenne
II. : Pourquoi
l'Europe ? Nature, culture ou transformation économique et
sociale autonome ?
1. Un déterminisme géographique ? les contraintes du milieu
naturel.
2. Spécificités
culturelles
III. Pourquoi l'Europe
: très brève et personnelle histoire du monde avant 1500.
1.La révolution
néolithique
2. L'ère
des Empires
3. Le monde
des marchands
4. L'Empire romain
5. Les temps obscurs en Occident (Ve au Xe siècles, malgré
quelques exceptions).
6. Poursuite de l'ère des Empires en Orient
7. La « révolution économique médiévale
»
Pourquoi ce sujet de cours ?
Il est centré sur l'Europe parce que l'Europe, au moins en un
certain sens, est au centre de l'histoire économique du monde depuis
plusieurs siècles.
Il commence en 1500 parce que c'est le moment de la grande ouverture
de l'Europe :
- 1492 Colomb découvre l'Amérique;
- 1498 Vasco de Gama contourne l'Afrique et parvient aux Indes;
et parce que un grand nombre de changements majeurs ont lieu en Europe
autour de ces dates, que l'on peut relier à l'accélération
de la croissance économique en Europe et à la modification
de sa situation par rapport au reste du monde.
I. Les enjeux : l'Europe et le monde.
1. Domination européenne actuelle
- La véritable domination européenne ne se limite pas
au pouvoir ou à la richesse des populations vivant en Europe ; elle
doit inclure les terres occupées principalement par des descendants
d'Européens, qui imposèrent dans les « zones de peuplement
européen » leur organisation de la société :
Amériques (même si s'y ajoutent dans des proportions variables
selon les pays des population d'origine indigène ou africaine, mais
celle-ci venue de force), Australie, Russie du sud et de l'est de l'Oural.
- Que ce soit en termes de richesse ou d'indépendance politique,
le Japon reste la seule exception à grande échelle à
la domination européenne (La Corée et Taïwan en partie).
- La domination européenne est aussi idéologique : celle du modèle économique libéral pour la croissance économique et de la protection sociale pour les plus faibles (même s'il y a des tensions sur les formes de protection sociale les meilleures et sur les limites de l'efficacité économique du libéralisme).
Après 1989 et la fin du modèle soviétique, dernier
rival idéologique du libéralisme (même s'il est aussi
d'origine européenne), Fukuyama prétendit que l'on avait
atteint la fin de l'histoire (La fin de l'histoire et le dernier homme,
traduction française disponible), c'est-à-dire que l'on irait
désormais simplement vers une extension mondiale du système
de gouvernement occidental qui n'avait désormais plus de véritable
rival au plan idéologique.
D'autres auteurs (Huntington) ont cependant affirmé que l'avenir
serait celui du conflit entre civilisations (clash of civilizations),
car selon lui l'Europe n'est plus si dominante et les autres grandes régions
contestent son hégémonie (spécialement l'Islam avec
le développement d'un extrémisme dans le monde arabe, en
Inde et en Indonésie ; mais aussi l'indhouisme, et la Chine, sans
parler de divers mouvements révolutionnaires anti-capitalistes en
Amérique latine).
Ceci rejoint le débat sur la globalisation, que l'on peut voir
soit comme un avenir inévitable et souhaitable (Fukuyama); soit
comme la source de trop de tensions psychologiques, de résistances
culturelles, éventuellement d'inégalités (Huntington).
L'historien rappellera le caractère totalement nouveau du phénomène
en ce que pour la première fois il touche l'ensemble de la population
(au moins par la consommation de quantités de produits matériels
et culturels étrangers), alors qu'elle vivait largement de manière
autarcique (à l'échelle d'une région) avant le XIXe
siècle, dans la plupart des pays (Braudel).
K. Polanyi (La grande transformation, 1945, traduction fr. Gallimard) affirmait l'impossibilité d'une économie libérale sans des protections sociales : cette protection, assurée dans les sociétés anciennes par des solidarités locales (qui impliquaient la soumission de l'individu au groupe, impossible dans les sociétés modernes individualistes), pourrait l'être dans les sociétés modernes par l'Etat. Celui-ci existe parce qu'il crée des différences entre ses nationaux et les autres, parce qu'il protège les nationaux contre les "chocs" venus de l'extérieur (prix du pétrole...) (protège veut dire ici répartit le prix entre tous de manière "juste") (selon Polanyi, la tentative libérale de globalisation au XIXe siècle s'est achevé de manière désastreuse par la guerre, et la société n'a été sauvée que par la mise en place de l'Etat-providence). Aujourd'hui, même l'Etat social est mis en cause par la mondialisation. D'où les craintes qui tempèrent l'optimisme béat de Fukuyama.
2. Depuis quand dure cette domination ? Depuis peu.
La comparaison des situations en 1300, 1700, et depuis montre que jusque
récemment l'Europe était plus petite et n'était pas
plus riche en comparaison de l'Inde ou de la Chine. De grandes civilisations
se sont développées au moins aussi tôt qu'en Grèce
en Inde et en Chine. Au Moyen-âge elles sont beaucoup plus riches
matériellement et culturellement, plus avancées dans les
sciences et les techniques que l'Europe.
En 1500, l'empire ottoman (dont la Turquie est l'héritière)
était sans doute plus puissant que n'importe quel Etat européen.
Il occupe une grande partie des Balkans et l'essentiel du proche orient.
En 1683 encore, l'armée ottomane fait le siège de Vienne,
menaçant une des couronnes les plus puissantes d'Europe.
La domination européenne est donc récente : cf tableau
VIII.2 et tableau P3 (villes)
3. La caractéristique majeure de cette domination : la supériorité économique
La révolution industrielle européenne coïncide avec
la domination de l'Europe. Elle explique sans doute sa durable supériorité.
Cf tableau 2 sur accélération de
la croissance économique mondiale après 1700 : l'essentiel
du progrès est européen ; les autres pays stagnent.
La révolution industrielle est un changement radical dans l'histoire
humaine, le plus important pour la majorité des habitants puisque
le mode de vie de tous est bouleversé : on passe d'une population
rurale et homogène à une population urbaine et différenciée.
Rque : révolution suggère rapidité, mais seulement
à l'échelle historique. Pour l'individu un progrès
de 1%/an est peu ressenti, mais sur 2 siècles il fait une différence
par rapport à un progrès de 0,1%/an au max comme avant la
révolution industrielle.
C'est dans l'agriculture que l'on peut au mieux mesurer les gains de
productivité pour des produits identiques : pour une tonne de blé,
il fallait 1200 à 1800 h de travail vers 1700 en Europe, 86h aux
USA en 1840, 40 en 1900, 2 en 1990. Donc productivité du travail
multipliée par 600 à 900. Si on compte la terre, les machines,
engrais..., la productivité totale des facteurs est multipliée
par 400 à 700. Pour l'ensemble de l'agriculture, le gain est moindre,
et tous les pays n'ont pas la productivité américaine (les
2,5 millions d'agriculteurs américains actuels produisent plus que
les 220M d'agriculteurs du monde en 1700, sur une surface 7 fois plus faible).
Cependant une multiplication par 40 de la productivité du travail
est un minimum pour les pays développés actuels. Ceci à
comparer à une multiplication par 1,4 à 1,8 entre le néolithique
et 1700.
Pour la totalité des activités (industrie où gains
plus rapide encore que dans l'agriculture, services où plus faibles),
on a une multiplication de la productivité du travail par 40 à
45 entre 1700 et 1990, contre 2 entre 1000 et 1700 (période plutôt
positive). Cf. tableau 2.
Noter les différences entre activités liées à
la saturation de la demande (alimentation, textile), à une utilisation
plus efficace (énergie : 5% utile dans cheminée ouverte,
85% dans chauffage central collectif), aux différences de croissance
de la productivité entre secteurs (elle augmente peu dans le bâtiment,
donc le prix relatif des immeubles augmente, donc malgré l'enrichissement
la surface habitable par habitant augmente peu, ce qui est aggravé
par saturation des espaces urbains et augmentation de la rente foncière
en résultant).
Pour l'alimentation, le minimum physiologique est de 1700 calories/j.
et le maximum sans obésité grave de 3700. Avec les calories
indirectes (utilisées dans l'alimentation des animaux que l'on consomme
en viande ou lait), on peut atteindre 9000 au maximum. Comme le gain de
productivité agricole a été considérable par
rapport à l'augmentation de la consommation, la population agricole
a pu diminuer fortement. C'est le choc principal de société
: de 80% des populations avant la révolution industrielle (avec
un minimum de 70% dans zones spécialisées dans autres activités,
50% aux Pays-Bas au XVIIe qui importent beaucoup de blé et ne représentent
que 2% de la population européenne), les agriculteurs baissent à
5% aujourd'hui dans les pays développés (qui, en outre,
exportent des produits agricoles).
L'accroissement de la productivité agricole sans accroissement
identique de la demande de produits agricoles fait qu'il faut moins d'agriculteurs
pour nourrir la population. Beaucoup peuvent donc changer de métier.
Ceci conduit au développement des villes. La part de la population
urbaine était de 10% environ vers 200 av. J-C, et de 14% vers
1700. En 1913 l'Europe atteint 34% (y compris la Russie), et 70% en 1990
(niveau du R-U en 1913). La taille des villes change radicalement : aucune
ville n'a dépassé 1,5M d'h avant 1800. En 1900 Londres a
6,5M et Paris 4,5, onze villes dépassent le million. En 1995, Tokyo
atteint 26M, 315 villes dépassent le million.
Paradoxalement, cet enrichissement sans précédent du monde
conduit à un élargissement sans précédent (et
qui reste actuellement inachevé) des inégalités entre
les pays : entre pays participant ou non à la croissance économique.
Tableau
4.
Actuellement division majeure du monde entre riches et pauvres : les
premiers se soucient de leur ligne, les autres de trouver à manger.
Ecart de revenu entre Suisse et Mozambique (extrêmes) est de 400/1.
En 1750 cet écart était sans doute de 5/1. Les écarts
entre extrêmes augmentent toujours, et même les écarts
entre pays riches et pauvres selon beaucoup d'indicateurs.
Ceci contraste avec un monde ancien où les inégalités
majeures étaient entre riches et pauvres au sein de chaque pays
(aujourd'hui, l'écart de richesse est énorme entre un pauvre
de pays riche et un de pays pauvre, alors qu'autrefois ils étaient
tous à un niveau proche de la simple subsistance).(rque : je ne
parle pas de cas individuels, mais de catégories statistiques comme
les 5% les plus pauvres...).
Cette augmentation des inégalités parallèle à l'enrichissement de l'Europe et à sa domination a conduit à poser la question de la causalité: enrichissement permettant domination ou l'inverse ? Nous examinerons cette question plus en détail plus loin, mais la réponse principale reste celle que nous avons suggérée.
4. Transition démographique et domination européenne
Une domination peut résulter d'une supériorité
numérique ou d'une richesse plus grande. On a vu que dans le cas
européen, la domination résulte essentiellement d'une supériorité
de la richesse par habitant (même si la population européenne
a beaucoup augmenté durant notre période), et qu'au début
de notre période les européens n'étaient en moyenne
pas plus riches que les habitants des autres continents.
Donc : la particularité de l'Europe : accroissement du revenu
par habitant. Autrement dit, l'accroissement de la productivité
agricole n'a pas conduit à une augmentation de la population comme
dans l'hypothèse de Malthus.
Ce modèle, proposé au début du XIXe siècle
par un pasteur anglais, suggère que quelle que soit la supériorité
du milieu naturel européen, elle ne pouvait conduire qu'à
une plus grande quantité de population et non à une population
significativement plus riche. L'idée centrale de Malthus est que
la population s'ajuste à la quantité de nourriture disponible.
Autrement dit, si des terres sont plus riches, les rendements par hectare
seront plus élevés, mais la population augmentera jusqu'à
ce que la quantité de nourriture par habitant soit similaire à
ce qu'elle est sur des terres plus pauvres. Le milieu géographique
influerait ainsi sur la densité de population mais non sur le niveau
de vie. Ceci pourrait conduire à une domination sur d'autres régions
dans la mesure où un régime politique dominant une région
de taille donnée aura davantage de sujets, donc de soldats et de
contribuables s'il bénéficie d'un milieu naturel favorable.
Mais cela ne correspondra pas à une richesse par habitant supérieure.
Pourquoi la population s'ajuste-t-elle selon Malthus à la richesse
de manière à maintenir le niveau de vie toujours au même
niveau ? Du fait de plusieurs mécanismes. Le plus important est
la tendance des gens à faire trop d'enfants, quelque chose qui est
observé dans la plupart des sociétés jusque récemment
(en partie parce que les enfants vous garantissent une protection pour
vos vieux jours à des époques ou dans des pays où
les systèmes de retraite et l'épargne sont inexistants ou
difficile). Dès qu'il y a trop d'enfants par rapport aux ressources,
des maladies dues à la malnutrition ou des famines ramènent
la population à son niveau correspondant au revenu minimal nécessaire.
Dès que les ressources augmentent, une hausse de la population maintient
ainsi le niveau de vie à un niveau constant.
Ce mécanisme n'est évidemment pas censé fournir
un ajustement parfait et permanent : Malthus ne dit pas que le niveau de
vie ne change pas du tout, mais qu'à long terme il ne varie pratiquement
pas. Et il semble que c'est approximativement ce que l'on observe partout
dans le monde jusqu'au XIXe siècle. Ainsi, la population mondiale
(cf. tableau) connaît fondamentalement
deux grands changements, au néolithique (cf. ci-dessous) et lors
de la révolution industrielle; le reste du temps elle change peu.
La transition démographique
Comme nous le verrons, la croissance économique démarre
en Europe inégalement selon les régions, et plutôt
tardivement en moyenne: c'est surtout aux 19e et 20e siècles que
la supériorité de richesse pr habitant devient flagrante.
Ceci est du à l'évolution démographique de l'Europe:
alors qu'au début l'enrichissement va avec une accélération
de la croissance de la population, qui annule en partie l'augmentation
de la richesse par habitant, on constate peu à peu, d'abord en France
puis dans d'autres pays européens à partir du milieu du 19e
siècle, un ralentissement de la croissance de la population. Ce
qu'on appelle la transition démographique: le passage d'un régime
de forte natalité et mortalité à un régime
où les deux sont faibles, en passant par une période où
la mortalité baisse avant la natalité, provoquant une forte
augmentation de la population.
La différence de richesse entre l'Europe et les PVD actuellement
résulte en partie de ce que ces pays sont en cours de transition,
avec une forte augmentation de la population, spécialement depuis
le milieu du 20e siècle, et donc une faible augmentation du revenu
par habitant.
II.
: Pourquoi l'Europe ? Nature, culture ou transformation économique
et sociale autonome ?
C'est en fait le sujet de l'ensemble du cours:
2 réponses habituelles : parce que les européens étaient
les meilleurs (plus travailleurs ou plus inventifs, d'où des innovations...)
; parce qu'ils étaient les pires (supériorité militaire
entraîne exploitation du monde et blocage de son développement
+ esclavage ou anéantissement des autres). Autre réponse,
peu satisfaisante: le hasard.
Vérité entre les deux : La thèse purement ethnique, donc raciste, de la supériorité de la race blanche, a été développée à la fin du 19e siècle (Gobineau, Essai sur l'inégalité des races humaines, 1855 ; Chamberlain, Discours de 1895) ; et pas disparu ( A. Zinoviev, L'Occidentisme, 1995 ; Arthur Jensen à Berkeley) ; la biologie cpdt est actuellement incapable de montrer un rapport entre les facultés de l'esprit et les gènes ou la configuration du cerveau. Et un examen historique l'élimine vite : des blancs ont raté le dvlpt (est de l'Europe) ou peu contribué au progrès scientifique (Am. Latine). Et des non blancs ont parfois été en avance : Islam (900-1200), Inde (maths de 300 à 700), Chine dans le savoir. De même, l'innovation technique a existé ailleurs qu'en Europe, spécialement en Chine, en Inde et dans les grandes civilisations arabes.
D'un autre côté, l'explication par l'exploitation ne dit
pas pourquoi ce n'est pas une autre civilisation (certaines sont plus peuplées
et unifiées) qui a imposé la sienne. La Chine a d'ailleurs
dominé toute sa région et imposé des tributs dès
le 4e siècle, les arabes à partir du 8e s. puis l'Empire
ottoman ont imposé une domination politique avec des prélèvements
économiques (accaparement du commerce international, prélèvements
d'esclaves sur l'Afrique et l'Europe orientale) pendant une longue période.
D'ailleurs, les déclins scientifique et technique chinois (8e siècle)
et indien (14e) sont antérieurs à l'irruption des européens.
En outre l'Europe n'a pas eu les moyens militaires de dominer avant très
tard, même si elle a eu alors une supériorité qui pouvait
faire mal à grande distance (navires); alors même, elle ne
pouvait rien contre la masse des populations non européennes souvent
plus nombreuses que celle de l'Europe. Donc il ne pouvait y avoir de domination
directe de type colonial que si c'était dans l'intérêt
d'un certain nombre d'indigènes.
En dehors de ces deux réponses qui impliquent un examen plus
détaillé de l'histoire, il y a deux réponses un peu
simplistes mais qui ont l'avantage d'être plus radicales à
la question des origines de la domination européenne.
1. Un déterminisme géographique ? les contraintes du milieu naturel.
L'idée d'un déterminisme géographique consiste à dire que c'est la différence de localisation géographique (avec les différences de climat, de sol qui vont avec), qui est à l'origine de la domination européenne.
La thèse selon laquelle le climat favorise ou défavorise
l'activité économique, l'enrichissement, le développement
de la civilisation, y compris le niveau de vie est très ancienne
(Montesquieu, Livingstone,...) (il est cependant possible que ces auteurs
anciens aient eu surtout de l'intérêt pour l'amélioration
de la vie des élites, qui dépend de la masse de ce qui peut
être prélevé sur les masses paysannes, donc de leur
quantité plus que de leur niveau de vie).
L'idée que certains climats sont plus ou moins favorables au
travail est générale au point d'être évidente.
Cependant il faut se méfier des évidences : ainsi la chaleur
évoque pour beaucoup le repos et la recherche du plaisir tandis
que le froid serait associé au sérieux, à la sobriété
efficace ; pourtant actuellement en France, les pays chauds sont davantage
à la mode et on invoque leur créativité heureuse à
l'opposé de la froideur contrainte et besogneuse sans imagination
des pays froids.
Il reste que, comme le faisait remarquer l'économiste J. Galbraith,
une bande de 3000 km de large autour de l'équateur ne contient aucun
pays riche, et que les régions tempérées comptent
peu de pays pauvres. Cependant, il y a eu de grandes civilisations dans
ces régions. Et au 10e siècle, le géographe arabe
al-Masudi expliquait par le climat froid le retard de dvlpt intellectuel
et éco de l'Europe.
Les contraintes que la qualité des sols et le climat imposent à la productivité de l'agriculture affectent au moins la densité de population possible sur un territoire. Or il est possible qu'il y ait des liens entre une densité de population élevée (permise par de bonnes conditions climatiques ou naturelles en général) et le niveau de vie : c'est le cas si la densité de population conduit à davantage d'échanges d'idées et d'inventions. Exemple possible : l'Islam pénalisé par rareté des terres cultivables (pour le monde arabe entier, totalisent la même surface qu'en France) qui empêche donc croissance de la population ; absence de fleuves, de forêt pour le bois et l'énergie ; irrigation possible mais vulnérable aux guerres). A peut-être bloqué le développement de la civilisation de l'Islam classique.
Quels arguments peut on évoquer en faveur d'un déterminisme
géographique ?
a. Arguments en faveur de l'influence du milieu naturel :
1. La température
- La lutte contre le froid est plus facile que contre la chaleur :
feu, habits, logement dans un cas ; transpiration dans l'autre (mais sans
évaporation rapide par climat sec ou par esclave agitant un éventail,
l'effet de la transpiration est désagréable), la climatisation
étant récente. Une remarque cependant : une partie des efforts
humains servent alors surtout à éviter l'inconfort (cf. comparaison
entre le midi de la France et le nord : dépenses supérieures
en habit, chauffage voire construction pour confort égal).
- Un effet plus grave de la chaleur est la multiplication des bêtes
hostiles : insectes qui transmettent les maladies (la malaria, 10 fois
plus contagieuse que les oreillons) ; seul l'hiver les liquide, s'il gèle
; mais ce n'est pas le cas des pays tropicaux. Pire que les insectes :
les parasites. Ainsi de ces vers minuscules (schistosomes) qui vivent dans
l'eau stagnante et pénètrent par des plaies dans le corps,
s'installent dans une veine, se reproduisent, et détruisent intestins,
foie, appareil digestif et urinaire (maladie nommée traditionnellement
douve du foie, décrite pour la première fois précisément
en 1852, fréquente en Afrique tropicale, présente en Asie
et Amérique du Sud). Ceci pose problème à tout travail
dans l'eau (culture du riz). Les trypanosomes, protozoaires parasites transmis
en Afrique par la mouche tsé-tsé, sont difficiles à
éliminer de nos jours encore car ils évoluent en modifiant
leurs antigènes.
Tableau 1.1 de Landes.
2. Les précipitations
La sécheresse pose naturellement un problème majeur.
Le réchauffement de la planète conduirait aujourd'hui à
l'extension des zones arides (déserts). Dans les zones tropicales
où les précipitations sont limitées, la chaleur aggrave
la situation en faisant vite évaporer celle des pluies. Alors dépendance
envers les fleuves, si leur débit est assez constant. Mais sans
fleuve ou avec des fleuves irréguliers (la Volga a à l'étiage
un débit de 28 m3/seconde, contre parfois 10.000 en hautes eaux),
il n'y a pas d'agriculture intensive possible, donc peu de naissance de
villes.
Même quand il y a de l'eau se pose le problème de la forme des précipitations dans les zones tropicales : les pluies tropicales atteignent souvent 25mm/heure, avec max à 60mm (Java) (à comparer à 50mm/mois à Londres). Cette surabondance peut poser des difficultés pour l'agriculture du fait de la luxuriance de la nature (impossible de lutter contre les "mauvaises herbes"), ou du lessivage du sol par les pluies violentes si la forêt est défrichée.
3. Les cotes et le commerce
La proximité de cotes est souvent soulignée comme un avantage
majeur: la pêche est une ressource importante à la productivité
assez élevée; la proximité de cotes ou de fleuves
aisément navigables permet le transport des biens et des personnes.
L'Europe (spécialement ses parties les plus riches) bénéficie
de cotes très découpées qui font qu'aucune partie
du territoire n'en est éloignée. Opposition majeure est silhouette
massive et caractère rectiligne des côtes de l'Inde, de la
Chine, de l'Amérique pour l'essentiel, contre multiples découpures
et arborescences de la côte européenne, surtout méditerranéenne.
En outre la mer est un obstacle au mvt des armées (vulnérables
qd embarquées), donc les côtes sont des frontières
efficaces. Donc la mer favorise le commerce et la terre favorise la guerre
(même si son immense commerce maritime donne une expérience
navale importante à l'Europe, utile pour conquérir le monde).
Europe de l'est co autres gdes civilisations moins favorisées
par mer ; transports difficiles, frontières instables. En plus mers
gelées ou fermées, ou contrôlées par des détroits.
Islam souffre de longues côtes rectilignes, et de gds territoires
eloignés de la mer ; en outre d'un système de mers coupé
en 2 (par l'isthme de Suez, pas traversable sans l'accord de l'Egypte).
La gloire de l'Islam (9e-12e s) vient qd il contrôle non seult des
gds territoires mais aussi suffisamment d'iles de la Méditerranée
(+ l'Espagne et des morceaux de côte française ou italienne)
pour dvlper, exceptionnellement, un trafic commercial de pondéreux
par mer. D'ailleurs dvlpt européen bloqué tant que les arabes
contrôlent la Méditerranée, malgré efforts pour dvlper commerce par le Danube aux 9e-10e s.
Quelle mesure ? distance max à la mer plus faible en Europe ;
encore plus vrai du ratio longueur des côtes / aire totale
(3,5 à 6 fois plus grand en Europe qu'en Islam, Inde ou Chine) ;
(et pourtant hypo de mesure favorables aux autres régions).
"Dimension fractale" (Cosandey) : mesure approchée des côtes par des segments de plus en plus courts, rapportée à superficie (permet de considérer l'importance de phénomènes de péninsules, mers pénétrant loin dans les terres...). Donne très forte supériorité à l'Europe sur autres gdes civilisations, mais même sur toute autre région du monde. La zone la plus proche en terme de découpage est l'Asie du sud est, composée largement d'îles par ailleurs moins favorables au dvlpt car isolant les populations et limitant les guerres comme les migrations qui auraient pu les peupler. Cpdt intense commerce avec l'extérieur (poivre...). En Amérique centrale, la multitude d'îles caraïbes et les péninsules de Floride et du Yucatan sont favorables à l'émergence de civilisations.
A l'opposé: l'Afrique, massive, aux terres mal reliées
à la mer. En 1937 encore, une étude de la SDN affirme que les ressources africaines en fer, chabon et phosphates ne sont exploitables rentablement qu'à moins de 100km des côtes, un peu plus pour chrome, manganèse, zinc, plomb et pétrole, mais jamais plus de 250km : 90% du continent sont donc inexploitables, à l'ère du cdf. Seuls les produits précieux sont échangeables (or, ivoire, plumes, esclaves), produisant des civilisations élaborées: empires du Ghana (8e s), de Tombouctou (14e), du Songhaï (15e), du Zimbabwe (15e).
b. Synthèse sur le milieu naturel : l'Europe et les autres
L'Europe est favorisée par des températures clémentes (douces en hiver par rapport à sa latitude grâce au Gulf Stream) et par des précipitations régulières. L'hiver est assez froid pour tuer les germes de maladies, les insectes, mais pas pour faire geler les racines de toutes les plantes ou les semences. Les précipitations régulières réduisent la dépendance envers les fleuves. Seul inconvénient : forêts denses lentes à pénétrer, d'où retard de développement initial par rapport aux régions du pourtour méditerranéen (défrichage difficile sans outils de fer). Globalement, Europe favorisée : une fois défrichage effectué, l'agriculture donne des fruits réguliers, les prés permettent de nourrir des animaux plus grands et forts qu'ailleurs (chevaux puissants des chevaliers par rapport à ceux des mongols ou des arabes : 'chars d'assaut vivants'), ce qui favorise labour et transport, fournit des engrais organiques et une alimentation plus riche en protéines.
Cependant, l'agriculture européenne est moins productive que dans les zones alliant terre riche (alluvions fluviales du Yangzi, du fleuve Jaune, du Nil, de l'Euphrate ou de l'Indus), climat chaud et main d'œuvre abondante (elle-même permise par les récoltes multiples, cf. l'argument malthusien...) ; donc en Europe rendements à l'hectare inférieurs, et population inférieure. Mais l'Europe bénéficierait d'une situation moins fragile (risques de sécheresse en Chine, de destruction des systèmes d'irrigation par la guerre ou la crue). Exemple des tartares de Timour qui détruisirent au XIVe siècle le système d'irrigation de la Perse et la transformèrent en désert. Cette robustesse européenne serait un avantage majeur à long terme, qui compenserait l'inconvénient d'une moindre richesse agricole potentielle.
On peut comprendre le développement initial de la civilisation chinoise par des considérations sur le milieu naturel (et la possibilité de s'y adapter). Le signe le plus simple de ce développement est la croissance de la population qui atteint déjà 60 millions au début de notre ère et augmente rapidement après le IXe siècle. La première expansion chinoise (en provenance du nord de la Chine) se dirige vers le bassin du fleuve Jaune. Cette expansion est facilitée par le fait que la zone de loess du bassin du fleuve Jaune n'est pas couverte de forêts et que les loess sont faciles à travailler même sans instruments puissants. Les techniques d'irrigation sont apprises alors (vers -500) ainsi que l'usage des animaux de traits et des engrais organiques. Au plan culturel, cette croissance résulte d'une stratégie efficace de conquête des terres arables (depuis le Nord), de la construction d'entrepôts et de moyens d'approvisionnement des villes. Ceci permet de maintenir des armées puissantes qui protègent l'ensemble. Après le VIIIe siècle, l'étape suivante (toujours vers le sud) est la conquête du bassin du Yangzi, encore plus favorable aux cultures mais demandant des moyens initiaux plus importants. Là, 2 récoltes par an sont possibles, et la zone où on les réalise peut être étendue par l'irrigation qui développe des rizières inondées à haut rendement (27 q/ha, contre 11 au max plus au nord, dans tous les cas beaucoup plus qu'en Europe, mais grâce à forte intensité en travail). L'ensemble de cette conquête est achevé au XIIIe s. Avantages : le riz se cultive même sur des sols pauvres s'il a assez d'engrais et surtout d'eau, et son apport en calories et supérieur à celui des autres céréales. Cependant son apport en protéines est faible (ce qui est gênant en Chine car il est peu complété par des aliments d'origine animale car l'élevage est très peu développé à part celui des porcs parce qu'il prendrait trop d'espace), et le travail dans l'eau favorise les parasites. L'ensemble rend les Chinois plutôt chétifs et fragiles face aux épidémies ou aux famines.
Certains comme Landes vont jusqu'à affirmer un déterminisme
naturel des structures sociales et politiques ; par exemple :
- que l'esclavage émerge quand il fait trop chaud pour travailler
volontairement ou quand l'absence de bétail (du fait de la mouche
tsé-tsé par exemple) rend le transport rare et difficile.
- que la dépendance envers les fleuves aurait des effets politiques
: qui contrôle le fleuve a le pouvoir, d'où despotismes égyptiens,
mésopotamiens ou chinois. En outre, l'eau ne venant que des fleuves
doit être distribuée sur une grande surface par des systèmes
d'irrigation coûteux à construire et entretenir et que chaque
individu a intérêt à voir prendre en charge par les
autres : il faut un Etat assez vaste et coercitif pour que ces systèmes
fonctionnent.
Les régions des grandes civilisations fluviales permettent des
densités de population très importantes; mais les masses
paysannes colossales inciteraient les potentats asiatiques à des
projets pharaoniques : cf. la splendeur des cours d'Asie et d'Inde par
rapport à l'Europe = désavantage finalement. En Chine, on
dit « rare est la terre et nombreux sont les gens ».
- Effet de la géographie côtière sur la géopolitique: selon certains (Cosandey), le découpage des cotes influe sur la taille des Etats et la stabilité de la division des territoires entre Etats: Côte sinueuse permet frontières naturelles qui consolident les états. Détermination géog de nombreux Etats : Dk, Sw, Angleterre, Espagne, Hollande (mer et Rhin) = Etats anciens et durables. Façades maritimes protègent d'agressions donc favorisent la durée des Etats (p.275). Existence de grandes îles refuges protège du succès d'un impérialisme.
En Europe donc, les frontières se déplacent mais peu
d'états disparaissent ; échec de toutes les tentatives d'Empire
européen. Faux cpdt à l'est de l'Europe où nb d'états
apparaissent puis disparaissent (Hongrie, Pologne, Bulgarie, Lituanie.
Donc en Europe on connait un système d'états où aucun
ne peut vivre sans se soucier des autres. A l'inverse, en orient un état
équivaut svt à une civilisation ; il vit co seul au monde.
Et l'absence de frontières "naturelles" conduit à des mouvements
rapides d'invasion et de changement d'Empire qui dans certains cas peuvent
conduire au chaos politique.
Avtges de division politique : diversité des institutions, des
règlements et des coutumes (« politico-diversité »)
donne plus de chances de trouver les meilleurs moyens de surmonter une
difficulté; rivalités entrainent émulation et innovation
(rivalité pour attirer les savants, les inventeurs...).
Cpdt, l'Europe ne connait pas toujours la stabilité du découpage politique : au haut MA, les royaumes « naviguent » sur la carte : le vandale, né en Galice-Portugal en 409 se retrouve en Tunisie mi 5e, puis en Sardaigne, Corse et Sicile, et disparaît en 533 vaincu par les byzantins ; les wisigoths passent d'Aquitaine (417) en Espagne (478), perdent la Gaule (507), passent en Galice (584), disparaît en 711 (arabes). Ostrogoths passent de Dalmatie à l'Italie puis disparaissent. On peut pourtant dire qu'il s'agit d'une période d'invasions depuis l'extérieur du continent, qui déstabilisent une situtation politique qui intrinsèquement serait plus stable, mais c'est réintroduire l'histoire.
Une thèse récente sur le sujet est due à Diamond
(Guns, germs and steel, traduction De l'Inégalité
parmi les sociétés, Gallimard, 2001; pour des commentaires
sur ce livre et des explications concurrentes). Elle propose un déterminisme
géographique basé sur deux éléments : la taille
des continents et leur homogénéité climatique, qui
conduirait à une capacité d'apprentissage différente
en matière de semences et de résistance aux maladies.
- la taille de l'Eurasie a conduit naturellement à une plus
grande variété de semences, et donc à une logique
découverte de deux semences très productives : le blé
et le riz. Du fait de l'absence de barrières naturelles majeures
et de la disposition d'est en ouest, ces semences se diffusèrent
rapidement entre zones de latitude et donc de climat comparables. A l'inverse,
en Afrique le Sahara, en Amérique le désert du Mexique bloquèrent
des diffusions (du blé depuis le Maghreb dans un cas, du maïs
depuis le sud dans l'autre) qui étaient en outre rendues plus difficiles
par les différences de climat dominantes dans des continents orientés
nord-sud.
- La taille de l'Eurasie conduisit aussi à la présence
d'un plus grand nombre de souches de maladies (de germes), et les mêmes
raisons que pour les semences facilitèrent leur diffusion sur tout
le continent. Ce plus grand nombre rendit la vie difficile aux habitants
durant des siècles, mais ils apprirent peu à peu à
s'en protéger, soit par des mesures d'hygiène (faire bouillir
l'eau, se laver les mains), soit par sélection génétique
(les individus les plus résistants survivent, donc se reproduisent,
et leurs gênes résistants deviennent dominants après
quelques générations). L'inverse eut à nouveau lieu
en Afrique, Amérique ou dans la petite Australasie. Quand ces continents
entrèrent en contact, les germes eurasiens détruisirent en
quelques décennies des populations entières.
Il y a deux limites majeures à l'interprétation par le milieu naturel :
- La thèse de Diamond repose sur des évolutions génétiques à très long terme (on estime en général qu'il faut 50 générations, soit 1500 ans, pour qu'une population évolue génétiquement de manière significative), au moins en ce qui concerne les maladies. Elle ne peut expliquer que des phénomènes à long terme. Elle réunit toute l'Eurasie dans un même continent, donc ne saurait expliquer les différences entre l'Europe et la Chine ou l'Inde. D'ailleurs pendant longtemps le niveau de développement de la Chine a été supérieur à celui de l'Europe malgré le climat (et ceci alors même que la Chine avait atteint son extension complète vers le sud au climat moins favorable). On peut d'ailleurs critiquer la supériorité des semences eurasiennes sur le maïs ou la pomme de terre (qui ont eu du succès rapidement hors de leur Amérique originelle). Et l'Afrique de l'est à permis très tôt des communications entre le Maghreb ou l'Egypte et le sud du continent.
- le milieu naturel est en partie endogène (transformé
par l'homme volontairement ou non). Ainsi la déforestation crée
une nature favorable à l'agriculture en Europe, mais conduit au
développement de déserts ou à leur extension en Espagne
ou dans le Sahara (la Libye était un grand centre d'exportations
de céréales au sein de l'Empire romain, l'Irak actuel vit
le développement des premières civilisations du fait de sa
fertilité). La résistance aux épidémies est
largement facilitée par l'hygiène : c'est la raison de l'absence
d'épidémie majeure en Europe après la peste noire
: choléra de 1832, grippe espagnole de 1917, font beaucoup de morts
mais rien par rapport à ce qui était possible avant, alors
même que la multiplication des échanges et des circulations
rend la diffusion plus rapide). Les progrès de l'hygiène
et de la médecine entraînent ainsi une chute de la mortalité
(infantile surtout : en 1965 14,6% dans pays les plus pauvres, 9,1% en
1992 et même 3,1% en Chine). En Algérie, colonisation entraîne
drainage des marécages que l'on associe (sans connaître le
rôle des moustiques transmettant la malaria) aux 'fièvres',
avec succès.
Si on poursuit cette thèse du milieu naturel "endogène"
on voit certains auteurs aller jusqu'à une critique tiers-mondiste
de la thèse du déterminisme naturel, qui reprend la thèse
des "mauvais européens":
-La technologie a été surtout développée
dans les pays riches, qui l'adaptent à leurs propres besoins et
à leur propre climat, ce qui empêche le rattrapage technologique
du Tiers-Monde. Par exemple, les formes de la médecine moderne entraînent
des difficultés culturelles d'adaptation dans les PVD.. Cependant,
ceci est d'autant plus vrai que l'écart technologique est grand:
ce n'était pas le cas en général voici 200 ans.
- La colonisation a pu dépeupler des territoires (favorisant
le retour à la brousse ou celui de la mouche tsé-tsé)
ou fait oublier des techniques adaptées au milieu naturel des PVD
en désorganisant les sociétés traditionnelles.
Il est clair que sur le très long terme, le Proche Orient (la
Mésopotamie, l'Egypte), la Chine ou l'Inde avaient des situations
naturelles plus favorables au développement d'une agriculture riche
que l'Europe (qui démarre beaucoup plus tard). Seule solution partielle
à ces critiques : dire que pour les Européens, le milieu
naturel opposait un coût d'entrée plus élevé
pour les européens (forêts impénétrables sans
outils métalliques abondants), mais que celui ci une fois surmonté
ils bénéficiaient d'une situation plus favorable.
Clairement insuffisant pour expliquer la domination européenne.
Déterminisme du culturel par le naturel sans doute dangereux et à la limite du racisme.
Les héritages culturels, à la différence de la situation naturelle, n'expliqueraient pas le très long terme mais plutôt le long terme : en quoi les européens ont été favorisés par l'héritage reçu des grecs (la liberté, la démocratie), des romains (l'ordre légal), des germains et des juifs (la résistance à l'oppression et l'égalitarisme), ensemble maintenus en partie par les moines et les autorités de l'Eglise contre la domination d'un pouvoir temporel. Ceci n'explique pas l'émergence de ces cultures.
La Grèce et Rome
L'Europe se sent héritière de la Grèce et de Rome,
de la science, de la liberté et de la démocratie d'une part,
de l'ordre légal d'autre part, et très différente
des Empires orientaux vaincus à Salamine ou aux Thermopyles.
La Grèce a été en effet pionnière pour
certaines sciences, spécialement les maths. Du fait d'une culture
spécialement rationaliste (mais quel panthéon de dieux bizarres);
la fascination pythagoricienne pour les nombres est parfois citée
co ex de l'attirance de l'occident pour les sciences ; mais elle a son
équivalent dans l'Islam de Bassorah du 10e siècle, dans la
chine du 12e (école du mathématicien Qin Jiushao)
Une autre différence est entre la propriété privée,
qui fait partie de cet héritage, et les privilèges du monarque
des despotismes orientaux, où toute acquisition d'un sujet peut
lui être confisquée sans compensation. Ceci supprime toute
initiative, toute « industrie ». Dans ces systèmes de
pressurage, le problème est de ne pas pressurer au point de provoquer
l'exode, la révolte ou la famine, pas d'augmenter la taille du gâteau.
Quand, comme en Grèce, la cité voisine (indépendante)
est à quelques kilomètres, le risque que des paysans trop
écrasés d'impôts ou de corvées s'enfuient dans
le pays voisin est plus élevé que dans des empires couvrant
des milliers de kilomètres carrés. Néanmoins, même
les grecs et les romains ont fini sous l'emprise d'Empires autocratiques
(à partir d'Alexandre le grand). Néanmoins, l'Empire romain
développe un ensemble de lois destinées à faire tenir
ensemble un Empire très divers culturellement, qui permet des recours
devant des tribunaux qui protègent de plus en plus de l'arbitraire.
Ceci permet de diminuer le risque inhérent à des projets
économiques à long terme et à l'accumulation de richesse
(pour longtemps encore, les riches attirent la convoitise des autorités,
et ne peuvent y résister que par la force ou la fuite, ce qui n'encourage
pas aux investissements matériels).
Tradition germanique, Empire et Eglise romaine.
En Europe se réunissent la tradition juridique romaine, celle
de la liberté, et la coutume germanique selon laquelle chaque guerrier
possède sans partage ses biens que les déplacements perpétuels
limitent, ce qui diminue les conflits de propriété, et les
chefs sont élus, ce qui les rend de même rang en principe
que leurs hommes (à la différence des empires semi-théocratiques).
Alors même que l'Europe connaît durant des siècles
un rêve permanent de renaissance de l'Empire romain (idéal
de stabilité qui est aussi à l'origine de l'Union européenne),
la multiplicité des forces barbares a donné naissance à
une fragmentation politique qui, si elle conduit largement à l'insécurité,
rend difficile l'unification impériale. Seule l'Eglise catholique
assure l'unité idéologique de l'ensemble, et sa langue (un
latin abatardi) sert à communiquer, mais elle n'a aucun intérêt
à l'apparition d'un rival séculier (et parvient à
limiter le pouvoir politique réel du "saint Empire romain germanique").
L'héritage biblique
La conception du temps européenne, tirée de la Bible,
est linéaire (non cyclique) et objective. Mais les chinois ont aussi
une conception objective du temps (selon Needham) et tiennent des chronologies
de leur histoire depuis bcp plus lgtps qu'en Occident.
Selon certains auteurs (cf. Landes), la racine du droit de propriété
et de la méfiance démocratique envers les empires est héritée
des Hébreux sortis d'Egypte, et l'Eglise l'a transmise même
quand elle soutenait un Empire autocratique (comme celui de Charlemagne,
mais il a peu duré). Plus important peut-être est l'accent
spécifiquement judéo-chrétien sur la notion de personne
autonome et intrinsèquement image de Dieu (dont résulte une
égalité entre tous les hommes qui s'oppose à la quasi-divinité
de maint pharaon ou empereur).
L'aspect égalitariste, anti-autoritaire et l'exaltation des
humbles de l'Ecriture Sainte réapparaît régulièrement
(en restant le plus souvent au sein de l'Eglise : moines franciscains par
exemple, ordres mendiants en général). Les sectes hérétiques
lui donnent une place centrale : Waldo (waldésiens, c. 1175), Wicliff
(lollards, c. 1376), luthériens et calvinistes via accent sur lecture
directe de la Bible qui permet rappel aux dirigeants qu'ils ne détiennent
le pouvoir qu'au service du peuple et par Dieu à condition de s'en
servir correctement (cf. P. Chaunu, Le temps des réformes).
Au moyen-âge, quand l'Eglise s'élève contre les
prétentions des pouvoirs temporels (en occident, jamais en orient
contre l'Empereur), elle renforce implicitement la propriété
privée. Quand elle affirme ses prétentions, c'est en tant
que Dieu est le seul propriétaire de tout, mais elle ne peut demander
qu'en son nom, selon une procédure juste dont doivent témoigner
des traces écrites. Les autorités royales affirment aussi
leur droit à dire la loi et la justice contre les autorités
seigneuriales, et cette fonction contribue à leurs revenus ; mais
en contrepartie, qui gagne sa vie par la loi doit vivre selon la loi.
Par contraste, en Chine au contraire le monarque a tous les droits
même s'il n'en abuse pas. Il peut tout réglementer et surveiller.
Risque de mise en concurrence par fuite des sujets faible : réalité
d'un empire immense + idéologie de l'Empire « du Milieu »
(le reste du monde n'a pas grand chose à apporter, il n'est que
périphérique ; noter cependant que les grecs considéraient
les autres comme des barbares).
Attention à cette interprétation cependant :
Ainsi D. Landes affirme que la tolérance idéologique
fut maintenue en Europe alors que le contrôle autoritaire de la pensée
a toujours sévi en Islam ou en Chine. C'est très discutable
dans le cas de l'Islam, qui a longtemps laissé vivre en son sein
des communautés organisées de chrétiens ou de juifs
(même s'il leur imposait un impôt spécial). Pour la
Chine, il est possible qu'il y ait une un monopole de la diffusion des
idées (et surtout une capacité à diffuser massivement
les idées autorisées, en général très
traditionnelles), mais pas une véritable intolérance : littérature,
philosophie et sciences très en avance longtemps sur l'Europe. En
outre il y a eu des phénomènes de contrôle ou de tentative
de contrôle de la pensée par l'Eglise (même si la division
politique l'a empêché d'être efficace).
Un autre point commun aux européens (et aux arabes) est l'écriture alphabétique, plus analytique et rapide à apprendre que l'écriture par idéogrammes (Egypte ouChine). En fait le système des idéogrammes est une csqce + qu'une cause : ils existent à cause de la structure socio politique stérile de la Chine et de sa caste de bureaucrates (sa maîtrise est un outil de prestige). Par ailleurs, une écriture non phonétique est utile dans un empire multilingue. Donc politique et non culturel. En revanche les idéogrammes sont plus conceptuels, donc auraient pu introduire à des notations de type scientifiques.
CONCLUSION : entre nature et fondements idéologiques, qui sont des explications globales difficiles à démontrer ou à réfuter scientifiquement, l'histoire économique cherche à montrer de manière concrète, précise, circonscrite, la construction d'institutions sociales favorisant l'enrichissement. C'est le but de ce cours.
III. Pourquoi l'Europe : très brève histoire du monde avant 1500.
Dans l'histoire, au plan économique, le néolithique (=
passage à l'agriculture) est la seule rupture aussi importante que
la Révolution industrielle.
Le fait central : l'apparition de l'agriculture, qui permet une augmentation
massive de la population, donc de sa densité, donc des villes et
de la civilisation.
A l'origine un réchauffement de la planète, le recul des
glaciers continentaux vers -10.000, en Europe la disparition des mammouths
et des rhinocéros, le recul des rennes vers le nord. Causes mal
connues.
L'apparition de l'agriculture a lieu vers -8000 au Moyen-Orient, ailleurs
un peu plus tard, mais sans doute indépendamment).
L'agriculture permet de faire augmenter les densités (avant,
max de 9h/km2 dans zones riches, en général 2-3 dans zones
tropicales, 0,1 en Europe occidentale, population mondiale de 8-15M, tableau
population mondiale). Même si la croissance de la population reste
encore lente au néolithique, elle est énorme par rapport
à avant (où max de 0,004%/an).
Cependant la fragilité envers les épidémies est
accrue par la densité de population supérieure et par la
vie collective (d'abord en villages). Et l'agriculture crée des
risques de longue durée (sécheresse ou inondation détruisent
les ressources pour une année) à la différence des
risques quotidiens de la chasse ou de la cueillette. Donc il faut
longtemps avant que les choses changent vraiment. Ces changements sont
ainsi en général trop lents pour être perçus
par les individus ; maintien durable de la chasse, avec rôle symbolique
(chasseurs-guerriers-chefs).
L'augmentation de la productivité /ha (rendement) et par travailleur
permis par l'agriculture permet de faire apparaître des villes (qui
dépendent aussi des moyens de transport, mais le coût de transport
avant était trop énorme pour être concevable étant
donné la taille du bassin géographique qui aurait été
nécessaire à une ville : Bairoch l'estime à la taille
de l'Angleterre pour une ville de 1000 habitants). D'abord on trouve seulement
des villages de 50 à 300 personnes, mais déjà des
villes (dès -7000 à Jéricho) : sociétés
peut-être plus complexes que l'on n'a longtemps pensé. Des
villes existent en Egypte vers -2500, en Grèce vers -1200 (avec
colonisation ailleurs dès -900), au sud du Mexique (Olmèques)
vers -800, en Europe du NE avec christianisation seulement.
Rupture si forte que dès l'an 100, environ 95% de la population
mondiale vit sans doute dans zones « urbanisées ».
Or les villes sont le moteur des échanges, des relations, des
innovations qui en résultent. La sédentarisation laisse plus
de temps à la religion et à l'art. Elle permet la spécialisation
: ainsi très tôt pour la production d'outils en silex, pour
lesquels il existe un commerce à assez longue distance très
tôt. Invention du pain (après bouillies de céréales),
de la bière, de la poterie, de la brique et de la vannerie (tissage
de lin un peu plus tardif : -5000 ? 3000 pour la laine ?), domestication
des bœufs (en + du chien, déjà domestiqué avant)
et des légumes (pois).
Dans les zones à terres riches, cela conduit à l'apparition
d'Empires centrés sur des villes importantes.
Empires de Sumer et autres d'abord en Mésopotamie, puis ailleurs...
s'appuient sur l'agriculture productive des limons des grands fleuves renforcés
par irrigation et drainage. D'où villes, développement culturel,
religieux, économique ; spécialisation : architectes, médecins,
prêtres, ingénieurs. Difficultés de comptabilité
et la fiscalité impériales imposent l'invention de l'écriture
et de systèmes de poids et mesures utilisant de premières
mathématiques (invention liée à organisation bureaucratique
autour du temple). L'apparition de l'écriture permet l'accumulation
des savoirs techniques, facilite les échanges. Invention à
Sumer, durant le IVe millénaire av.JC d'une écriture syllabique
donc découle la première écriture alphabétique
inventée vers -1500 en Syrie (avant existent des entailles sur bois
et des nœuds sur cordes, par exemple en Amérique). En Chine, invention
indépendante au milieu du IIe millénaire av JC.
Comment passe-t-on d'une société de villages où probablement il y a propriété collective des terres et du bétail, et seulement propriété privée des outils, bijoux et armes à une société hiérarchisée et spécialisée comme celle des empires où des prêtres et des militaires dominent une population d'agriculteurs réduits au semi-esclavage au moins (quoique, quoi qu'en dise Marx, il ne soit pas clair que soit apparue une propriété privée qui ait légitimé ou permis cette exploitation) ? Des dynasties gouvernent les différentes cités-états, et des Empires se forment régulièrement par la guerre. Ceux-ci extorquent une partie du surplus.
Ces Empires ont-ils des effets économiques à long terme
?
L'innovation majeure, qui résulte bien du caractère
nécessairement bureaucratique des Empires, est l'écriture.
Cependant l'écriture alphabétique est sans doute inventée
en marge (point suivant).
Il ne semble pas qu'il y ait dans leur cadre d'innovation majeure
(la fonte du fer est inventée vers -1300 par les Hittites (cuivre:
3000 ans avant), et d'ailleurs le fer sert longtemps surtout aux armes).
Arrive plus tard en Chine et Inde, mais chinois inventent les hauts fourneaux
dès 1000 av JC (introduit en Europe au XIVe siècle de notre
ère).
La monnaie = pièces standardisées et dont le contenu
métallique est certifié par une autorité politique.
Apparitions indépendantes en Chine (-1000) et en Méditerranée
vers -700 (Lydie, chez grecs d'Asie mineure). L'origine est plutôt
le fait des marchands (cf. point suivant), mais l'autorité politique
joue un rôle majeur dans leur diffusion.
Cependant, les empires jouent un rôle dans la mise au point
et la diffusion des techniques agricoles irriguées ou non (dans
ce cas, jachère biannuelle, consommatrice de temps car la terre
non cultivée doit être retournée 8 ou 9 fois par an
pour éviter que des plantes s'y développent et la privent
d'éléments nutritifs). L'établissement formel
de lois civiles est un autre progrès, spécialement clair
dans le cas romain. Il facilite le commerce, donc la spécialisation,
seul moyen d'augmenter le revenu en l'absence de progrès technique
majeur.
Cependant le commerce va surtout être établi par voie de mer, par des marchands vivant aux marges des Empires et non en leur sein : ainsi des Phéniciens entre Mésopotamie et Egypte (fixés dès -3000), ou des arabes entre Mésopotamie et Inde. En effet, les Empires sont essentiellement autarciques et n'échangent souvent avec leurs voisins que des tributs ou des cadeaux rituels proches du troc, irréguliers et très faibles. Les Phéniciens apporteront ainsi en Egypte le cèdre du Liban, le cuivre de Chypre, et la pourpre (qu'ils transforment les premiers). Ils réussiront à maintenir des cités-états centrées sur le commerce, indépendantes jusqu'à Alexandre. Ils créeront des comptoirs tout autour de la Méditerranée et, toujours pour les besoins du commerce, inventeront l'alphabet. Les Grecs font concurrence aux Phéniciens dès l'époque mycénienne (-1500 à -1100) ; ils cherchent tôt à pénétrer la mer Noire en quête de blé, et établissent dans le même but des colonies nombreuses, spécialement en Sicile. Ceci permet à la Grèce elle-même de se spécialiser dans l'olivier et la vigne, mieux adaptés. Athènes devient une capitale commerciale et financière (banque, assurance), rôle facilité par la monnaie frappée grâce aux mines d'argent du Laurion. Ces mines fournissent aussi partie des revenus nécessaires à la construction d'une flotte protégeant efficacement les intérêts de la ville. A l'apogée du monde grec, sous Alexandre, on parle grec pour le commerce de l'Indus à Marseille. Alexandrie est la place tournante. Y passent les produits égyptiens (papyrus, blé, lin, verre) et ceux d'Afrique (ivoire, plumes d'autruche) ou d'Asie (tapis de Perse, coton des Indes, soie de Chine) ou d'Europe (ambre de la Baltique).
C'est cet Empire qui a bien sûr l'influence la plus grande sur
l'évolution de l'Europe.
Rome est aussi un Empire construit d'abord autour de paysans peu intéressés
par le commerce. L'Empire
à son apogée compte peut-être 120M d'h, contre
60 sous César. Rome atteint peut-être 1M, et beaucoup de villes
croissent (max de population urbaine sans doute jusqu'au XIXe siècle).
Le niveau de vie est assez élevé (il atteindrait, mais la
comparaison est presque impossible, celui d'un ouvrier anglais vers 1850,
soit supérieur à celui de beaucoup de pays du tiers monde
aujourd'hui). La population augmente fortement dans la zone occidentale
du fait de la circulation des produits et donc de la spécialisation
permises par la paix et les voies romaines (la Gaule passerait de 5 à
10 M d'h). Cependant l'approvisionnement de Rome en blé est organisé
par l'Etat qui nourrit gratuitement 200.000 pauvres. En Egypte la situation
est plus stable (5M d'h vers 2500 av JC, 7,5M sous l'Empire). L'économie
repose sur un travail servile et des commerçants souvent grecs.
Le déclin vient quand les voies maritimes sont à nouveau
menacées et quand la pression sur les frontières déséquilibre
le budget, créant inflation, économie dirigée, corruption...
On peut envisager une différence entre l'Empire romain et les
empires essentiellement d'un seul tenant terrestre comme ceux de Perse,
de Chine, d'Egypte, d'Inde : organisé autour d'une mer, il
accorde un rôle important aux transports maritimes (dont le coût
est très faible). De ce fait il découvre les techniques des
marchands des franges d'empires, leur accorde des lois protectrices, et
découvre que l'on peut s'appuyer sur eux en partie pour approvisionner
les villes (alors que les Empires en général confiaient cette
mission stratégique majeure à des bureaucraties). L'économie
y repose donc de plus en plus sur des marchés (contre thèse
de Finley, L'économie antique, 1973) :des sources variées
montrent l'existence de prix, en gl variables, pour les produits de consommation,
les services, les immeubles (loyers), la terre (avec peu de fluctuations
de prix semble-t-il cpdt), l'argent (crédit maritime en particulier,
avec diversification, dès Caton); l'existence de moyens organisés
de règlement de conflits sur le marché du crédit.
Cpdt, salaires nominaux restent constants sur de longues périodes.
Même le rôle de l'annone (taxe en nature en Egypte et Afrique
utilisée pour distribution gratuite à Rome) pour l'approvisionnement
serait limité: représenterait 15% de la C de blé de
Rome (qui atteint sous Auguste sans doute 150 à 300.000t de blé
par an), et en outre serait convoyée par des navires privés
affrêtés par l'Etat selon procédure d'enchère,
donc de marché (si l'Etat avait une flotte, il faudrait une énorme
administration pour la gérer, dont on n'a aucune trace).
5 Les temps obscurs en Occident (Ve au Xe siècles, malgré quelques exceptions).
- Fin de l'Empire romain d'occident (« 476 »). Déjà
séparation de l'Orient en 395 (inauguration de Constantinople en
330). Prise de Rome par les Wisigoths en 410 et les Vandales en 455, puis
les Lombards en 568. Origine de la chute : affaiblissement interne (décadence
: 'pas assez de pain, trop de jeux') ou attaque externe. Rôle éventuel
du paludisme ramené par les carthaginois lors de la seconde guerre
punique (218-201 av. JC). Attaques des barbares détruisent les réseaux
d'irrigation et d'assèchement des marais qui luttaient contre.
Rome en 600 n'a plus que 50.000h. Toute la population recule (de 45
à 24M pour l'Europe environ), et surtout les villes. Famines. Fer
redevient précieux. Libération des esclaves subitement raréfiés.
-La fin de l'Empire n'empêche pas en revanche la diffusion du christianisme. Sous l'Empire romain, il s'était diffusé en son sein (Lyon atteinte en 150 ; Afrique du nord, balkans, sud de la France, Espagne touchés avant IIIe siècle. Edit de Milan en 313 (liberté religieuse : Constantin). Après, cela se poursuit : 500 : conversion de Clovis. 834 : évêché de Hambourg ; 998 : Ribe (Danemark) ; 1004 : Cracovie (Pologne) ; 1070 : Bergen (Norvège) ; vers 950 : Kiev (Ukraine).
- La fin des grandes invasions = Xe siècle (ou 'migrations des
peuples' en allemand). (3 vagues : IVe, VIe et IXe siècles). Hormis
les musulmans en Sicile (IXe s à 1072) et Espagne, invasions plutôt
dévastatrices, même si les vikings avaient abondance de fer
et des techniques agricoles et navales plus avancées qu'en Europe.
Face aux grandes invasions, les européens apprennent peu à
peu à augmenter le coût de l'agression pour l'agresseur :
en l'attaquant quand il repart chargé de butin, en organisant les
transports maritimes ou terrestres en convois armés. Les agresseurs
se sédentarisent alors et s'assagissent. Les nouveaux rois convainquent
par menace ou récompense les pillards à se faire seigneurs
sédentaires. La paix est une condition de l'essor économique.
Elle ne suffit pas comme en témoigne la longue histoire chinoise
où les périodes de troubles sont relativement peu nombreuses.
6. Poursuite de l'ère des Empires en Orient
L'empire byzantin se maintient même s'il décline
L'Islam : conquête d'un Empire de la Chine à l'Espagne entre 632 (mort de Mahomet) et 732 (Poitiers). Fort développement culturel et économique : alors qu'en 600 aucune des 20 plus grandes villes du monde n'était dans les futures terres musulmanes (sauf en Iran), il y en a entre 7 et 9 en 800 (dont la plus grande ville du monde : Bagdad, + Damas). Apogée au Xe siècle. Rôle des croisades dans le déclin ? Pas évident. Invasions mongoles sans doute plus importantes.
On présente toujours ces invasions comme en Europe celles des germains, des normands (vikings) ou des hongrois comme la mise à sac de la civilisation par la barbarie. En fait la Mongolie est plus raffinée et commerçante qu'on ne dit. Il y avait une vie urbaine dès -2000. Le refroidissement du climat vers -1500 a détruit l'agriculture et imposé un retour à l'élevage. Après des guerres avec la Chine des Han, un trafic (de tribut) vers la Mongolie crée la route de la soie. Samarkand, créée au VIe s av JC, prise par les arabes au VIIe , est une grande ville dès avant sa reprise par Gengis Khan en 1219 (80.000h vers 1000). Gengis Khan règne de 1207 à 1227 ; prend Pékin en 1215 ; en 1260 l'empire mongol couvre l'Asie et le Moyen-Orient sauf l'Inde, l'Indochine, l'Arabie et la Syrie. En Occident, il s'est clairement intéressé davantage à l'Empire musulman qu'à l'Europe car il était beaucoup plus riche. Tamerlan (empereur entre 1370 et 1405) a détruit beaucoup plus (Bagdad en 1401, Alep, Damas, Kaboul, Nishapur...). Cependant domination mongole est tolérante (voyage de Marco-Polo en Chine autorisé alors : 1271-1295). Elle durera peu (dynastie Ming commence en 1368 et conduit à un nouvel apogée de la civilisation chinoise jusqu'au XVIe s ; s'achève en 1644).
La dernière grande invasion en provenance d'Asie centrale conduit
à la création de l'Empire ottoman (les turcs osmanlis) se
développe rapidement sur la partie ouest de l'Empire mongol. L'Empire
va de la frontière perse à celle du Maroc, et inclut les
Balkans dès le XIVe. A son apogée il inclut la Hongrie (1663)
et assiège Vienne (1683). Il est en pleine puissance malgré
Lépante (1571).
Les turcs reprennent donc l'expansion de l'Islam : ce sont eux également
qui achèvent la conquête musulmane de l'Inde (commencée
au XIe siècle) et créent l'Empire du grand Moghol unifiant
l'Inde sous un chef turc en 1526. De là l'islam se diffuse en outre
en Indonésie.
La Chine : succession de dynasties reconstruisant chaque fois un pouvoir centralisé sur l'ensemble du sous-continent; entre celles-ci, des "temps obscurs" qui s'achèvent par une invasion du nord qui installe une nouvelle dynastie.
Pour tous ces empires : tendance à l'instabilité des frontières, y compris en terme d'existence ou non d'empires qui ont pu être majeurs peu de temps avant. On l'a assigné à l'absence de frontières naturelles sur lesquelles appuyer une résistance et au sein desquelles construire une identité culturelle. Contraste en tout cas avec la stabilité des états européens après 1500 (quoique discutable pour petits états allemands ou italiens).
7. La « révolution économique médiévale » (Duby):
XI-XIIIe. Poussée urbaine (nombre de villes de plus de 10.000h
multiplié par 2,5 ; plus de 90% des villes de plus de 20.000h en
Europe en 1800 étaient déjà des villes en 1300, même
si parfois très petites : apparition de la structure urbaine européenne).
Croissance démog. (de 30M environ pour Europe sans Russie vers 800
à environ 75M vers 1340).
Augmentation des surfaces cultivées (défrichements, assèchement
des marais et des polders). Diffusion de techniques (charrue à roue
et soc de fer, apportée par les germains, se répand et permet
l'exploitation des sols lourds, argileux, qui résistaient à
l'araire romain en bois; complété par le collier d'épaule
pour l'attelage des chevaux, rotation triennale des cultures au nord de
la Loire ; les rendements agricoles augmenteraient d'environ 50%).
D'où surplus agricole croissant, échangé grâce
à renaissance commerciale et bancaire (frappe du florin en 1252;
comptabilité en partie double apparaît début XIIIe
; ligue hanséatique). Apparition de villes industrielles (textiles
des Flandres par ex.) et à progrès des transports (ferrure
des chevaux permet augmentation de la charge transportée de 300
à 2000kg voire plus pour les grands chariots du XIVe s ; multiplication
des ponts urbains ; techniques de construction navale des normands permet
apparition en mer du Nord vers 1200 des cogge rapides et de fort
tonnage, permettant le transport des pondéreux : grains, bois, sel
; la caravelle apparaît aussi au XIIe siècle ; début
de développement des canaux surtout en Flandres (1ere écluse
aux Pays-Bas en 1253).
Moulins à eau et à vent se diffusent pour broyer le grain, scier le bois, marteler le fer (forges catalanes : vers 1200 ; 1er haut fourneau à Liège en 1340)(rôle des moulins à vente dans l'assèchement des polders en Hollande). Renouveau des mines de charbon. 1189 (Hérault) : premier atelier de fabrication de papier (techno vient de Chine via Islam et Maroc, mais se diffuse lentement et n'atteint vraiment l'Italie que vers 1270; une spécificité européenne est l'usage immédiat des moulins pour broyer le tissu pour le papier).
Lunettes aussi connues vers mi-XIIIe s (importées de Chine aussi ?). Les lunettes permettent de lutter contre la presbytie qui apparaît vers 40 ans et réduit de moitié la vie active des artisans et savants (comme simples loupes, lentilles convexes même grossières, suffisent, lunettes contre presbytie apparaissent bien avant celles contre la myopie : XIIIe contre XVe s ). Les lunettes permettent et donc incitent à des observations fines : succession d'inventions d'instruments de précision : jauges, micromètres, petites fraises..., alors que l'Inde par ex parvient à un travail très fin par l'habileté de l'artisan plus que par la qualité des outils, ce qui réduit le développement potentiel. Etonnamment, pas de production de lunettes ailleurs avant XVIIIe.
Dans le textile, développement du foulage (battre le tissu pour
le rendre plus solide), réalisé par des moulins dès
le XIIIe. Filature améliorée par le rouet (également
inventé en Inde et Chine bien avant) remplaçant le fuseau
et la quenouille. Le métier à tisser horizontal est décrit
au XIe siècle à Troyes ; il multiplie la productivité
par 4 par rapport au métier vertical. En Flandres au XIe siècle
sont introduites les lices qui permettent de standardiser les largeurs
et de régulariser les bords des tissus et ouvre la voie aux exportations
de draps des flandres (Ypres atteindra 40.000h en 1200).
Dans les villes conflit entre les guildes qui cherchent à limiter
la concurrence et assurer la justice en imposant des normes, et ceux qui
les contournent par les faubourgs ou par le travail à façon
en chambre (qui conduit à une division plus forte du travail créatrice
de gains de productivité), voire par l'emploi hors saison des paysans
(dès le XIIIe s apparaît pour le tissage, mais en Italie ou
aux Pays-Bas les autorités vont, sous la pression de la corporation
des tisserands des villes, détruire les métiers ruraux ;
seule l'Angleterre y échappe, où dès le XVe
la moitié des draps sont tissés hors des villes, ce qui lui
permet (bas salaires des campagnes) de passer d'exportatrice de laine brute
à exportatrice de draps.
Diffusion de la cheminée dans les habitations, de la brouette dans la construction, et des techniques gothiques qui permettent d'alléger les murs et de gagner de la lumière. Selon Landes, les monastères auraient inventé l'horloge mécanique pour les besoins rituels (Angleterre et Italie, fin XIIIe) : ingéniosité technique et saut intellectuel avec la substitution du discret répété au continu. Arbalète (fin Xe siècle ?) et premières armes à feu (début XIVe). Premières Universités :de 988 (Bologne) à 1348 (Prague), 25 universités sont créées, révolutionnant le savoir et sa diffusion. Il y en a alors 13 en Italie (11 M d'h), 6 en F (16M), (All : 10,5M ; RU : 5 ; Esp : 8).
Rque : Les croisades.
Il y eut sans doute un rôle des 8 croisades (1095-1265) dans
diffusion des techniques orientales en Europe (boussole, papier) et dans
développement des relations commerciales futures (introduction du
sucre, des épices, du satin, du velours). En outre, la vente de
chartes pour financer les croisades favorisa l'indépendance des
villes européennes. Amélioration des techniques bancaires
par les Templiers, banquiers des croisades faisant face à des problèmes
de paiements complexes.
En Orient, les croisades ont probablement fait peu de mal profond aux
civilisations attaquées (mais beaucoup de massacres); elles ont
plutôt mis à mal les communautés juives qui jouaient
un grand rôle dans la communication culturelle entre occident et
orient. En revanche, elles ont créé une distance culturelle
forte entre l'Islam et le Christianisme (alors même que lancées
sans doute davantage pour rendre l'initiative au pape coincé dans
sa lutte contre l'Empereur et désireux de réorienter les
ambitions belliqueuses de la Chrétienté vers l'extérieur).
Rôle enfin des croisades dans déclin de l'Empire byzantin
(Constantinople avait 400.000h vers 500, 200.000 vers 1200 ; chute à
50.000 lors de la prise par les turcs en 1453).
Blocage de cette révolution médiévale :
témoigne de l'impossibilité apparente d'une croissance continue
Origines du blocage : soit internes (fin des progrès de productivité,
soit épuisement des sols et accidents climatiques ayant des conséquences
dramatiques dans la première société "pleine"), soit
externes (peste noire) (mais suppose fragilité, et résulte
d'échanges accrus). La peste noire vient aussi d'Asie, sans doute
de Chine via les tatars et la Crimée où les Génois
ont des postes : elle apparaît en 1347 en Italie et se diffuse très
vite. La population baisse avant 1400 de 80 à 56M en Europe. Les
terres sont abandonnées et la production baisse. Persécution
contre les juifs accusés (nombreux en F, Esp, All). Bon côté
: bond des salaires comme de la productivité agricole via terres
disponibles/h (salaires atteignent des niveaux que l'on ne reverra plus
avant la révolution industrielle).