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FORUM
Le Soir, mardi 13 avril 2004 « Rétablir la solidarité entre générations »
Nos systèmes de retraite sont en état de faillite virtuelle. ***En cause: la chute de la
natalité… dont ils sont responsables. ***Réduire les pensions, retarder l'âge de la retraite
ou favoriser l'immigration ne sont donc pas des solutions. ***S'agirait-il alors de faire des
enfants ?
Chacun sait que la chute de la natalité et l'allongement de la durée de la vie se conjuguent pour mettre en péril les systèmes de retraite, aujourd'hui en état de faillite virtuelle. Mais, pour vous, c'est une faillite « coupable », car nos systèmes de retraite sont responsables de la chute de la natalité. Pourquoi ? Nos systèmes de retraite ont été mis en place en toute bonne foi, mais on a fait une erreur de raisonnement. Tout le monde croit que payer les retraites de la génération précédente, signifie contribuer à sa propre retraite. C'est faux. Le seul investissement, la seule contribution qu'on peut faire pour sa propre retraite, c'est ce que l'on apporte à la génération suivante, puisque c'est cette génération qui paiera nos retraites. Nos sociétés pensaient s'être affranchies de la loi séculaire qui voulait qu'on fasse des enfants pour que ceux-ci subviennent aux besoins de leurs parents une fois ceux-ci devenus vieux. Ce ne serait donc pas le cas. Et pire, ajoutez-vous, nos systèmes de pensions auraient brisé l'ancienne solidarité entre les générations. Pourquoi ? Auparavant, en contrepartie de la dépense, de la fatigue, de l'attention consacrées à la mise au monde et à l'éducation des enfants, vous aviez la garantie d'être entretenu par vos enfants lorsque vous étiez âgé, faible et fatigué. Aujourd'hui, cette garantie vous est donnée quelle que soit votre contribution à la nouvelle génération, même si vous n'avez pas contribué à son existence, même si vous n'avez pas élevé d'enfant. Dès lors, l'encouragement implicite, c'est de restreindre le nombre d'enfants. On a encouragé sans le vouloir un comportement qui équivaut à du « parasitisme démographique » et consistant à ne pas avoir d'enfants, afin de vivre d'autant mieux financièrement pendant sa vie active, tout en jouissant d'une retraite confortable plus tard. Et ce sur le dos de ceux qui font les investissements énormes que représentent la préparation de la nouvelle génération. La solidarité entre les générations a été détruite. On peut désormais prendre sans donner. Chaque génération peut piller la suivante, sans autre contrepartie pour celle-ci que de tenter de se refaire à son tour sur la suivante, si tant est qu'il y en ait une… Bien d'autres raisons peuvent expliquer de la chute de la natalité : des raisons techniques comme la pilule ; ou sociales : l'opulence, le coût de plus en plus grand de l'éducation… La pilule est certainement le vecteur concret de la chute de natalité. Mais ce n'est pas parce que vous avez un outil que vous avez envie de l'utiliser. Au Japon, vous observez le même phénomène en l'absence de la pilule : la chute de la natalité a été permise par le préservatif… Par contre, la chute de la natalité suit directement le renforcement des systèmes de retraite aveugles au nombre d'enfants : en France, en Allemagne, en Suisse, aux Etats-Unis, au Japon… Le constat est clair : nos systèmes de retraite actuels s'autodévorent. A l'inverse, dès que ces systèmes reculent, comme aux Etats-Unis depuis les années 1980, la natalité remonte. Les systèmes de retraite par répartition, où les actifs financent au fur et à mesure les pensions des personnes âgées, sont donc insoutenables. Est-ce un argument en faveur des systèmes par capitalisation, où l'on épargne durant sa vie active en vue de sa pension ? La capitalisation, c'était le grand « truc » des banquiers et assureurs : elle fait affluer vers eux de gigantesques sommes, pour la gestion desquelles ils peuvent prélever de juteuses commissions. On a clamé que ces fonds de pensions pouvaient remplacer les systèmes par répartition et nous sauver face à la baisse de la natalité. Mais c'est une illusion. Exactement comme dans un système par répartition, s'il n'y a pas de génération suivante, vous n'avez pas de retraite. Vous vous retrouvez avec des titres financiers dont la valeur a chuté parce qu'il n'y a personne pour vous les racheter, ou pour donner de la valeur aux entreprises qu'il y a derrière. Même avoir stocké de l'or en barres ne sert a rien quand vous n'avez plus personne pour fournir les services que vous attendez : les soins, la nourriture… Tous les systèmes de retraites ont besoin d'une classe active pour fonctionner. La capitalisation n'est en soi ni meilleure ni moins bonne que la répartition. Telle qu'on la conçoit actuellement, elle est aveugle au nombre d'enfants et produit donc les mêmes effets pervers, à savoir qu'elle encourage les gens à mettre de l'argent de côté et à ne pas dépenser pour la prochaine génération. Ce n'est pas un argument contre la capitalisation. La morale est claire : l'investissement en capital humain compte autant, sinon plus que l'investissement en capital financier… Mais que faire face à la crise annoncée des systèmes de pensions. Réduire le montant des pensions et/ou reculer l'âge de la retraite ? Ce serait gérer la liquidation du système, le démanteler progressivement, mais sans le dire. Si on se contentait de suivre de telles recommandations, on ferait lentement disparaître l'une des plus grandes avancées sociales du XXe siècle car nos systèmes de pensions ont tout de même d'énormes avantages : ils offrent des garanties en cas de décès des descendants ou en cas d'invalidité ; ils collectivisent le risque, ils réduisent la promiscuité entre les générations, ils égalisent les revenus pendant l'automne de la vie. Il faut absolument préserver ces systèmes.
On ne peut pas exclure a priori le relèvement de l'âge de la retraite, puisque nous vivons
non seulement plus longtemps, mais aussi plus longtemps en bonne santé.
Propos recueillis par
DOMINIQUE BERNS |
Un goût marqué pour les questions controversées
En 1997, un jeune physicien suisse travaillant dans la finance, David Cosandey, publie un livre ambitieux, "Le Secret de l'Occident" (Arléa), dans lequel il tente de répondre à une question à laquelle se sont attaqué de grands auteurs: qu'est-ce qui explique la réussite particulière de l'Europe occidentale? Le livre est brillant, passionné et sans doute contestable sur certains points. Mais cela n'enlève rien à l'intérêt de sa lecture. Sept ans plus tard, l'auteur récidive, avec, cette fois, un essai plus court, mais incisif, consacré à "La Faillite coupable des retraites" (L'Harmattan). David Cosandey s'occupe de gestion du risque de taux dans une banque suisse. |
Créé: après déc 2004 Derniers changements: 14 sept 2014
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