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A l’heure où, dans le monde entier, les systèmes de retraites semblent
lentement s’étioler, dans l’impuissance générale, une hypothèse méconnue
mériterait d’être examinée: et si les assurances vieillesse provoquaient
elles-mêmes le mal qui les ronge?
Viabilité à long terme Par David Cosandey Spécialiste du risque financier Auteur de « La Faillite coupable des retraites ». A l’heure où, à des degrés divers, tous les systèmes de retraites semblent menacés, dans le monde entier, la question se pose: avons-nous eu les yeux en face des trous ? Pourquoi aucun politicien ne nous avait-il annoncé ce désastre majeur, au moment de lancer ces systèmes de retraites institutionnalisés, il y a, suivant les pays, 40, 50 ou 60 ans ? Et d’abord pourquoi cette faillite générale ? On nous dit que la dénatalité, la crise démographique que nous traversons, en serait la cause. Puisque les nouvelles générations, qui doivent payer pour les anciennes, sont moins nombreuses qu’avant, elles ne peuvent plus payer autant. Fort bien, dirons-nous ; mais qu’est-ce qui provoque cette surprenante dénatalité? Au moment de lancer ces systèmes de retraites, la natalité se portait bien, merci. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle aucun politicien n’a vu venir. Il y avait suffisamment d’enfants. Mais voilà qui devrait nous mettre la puce à l’oreille. Avant les retraites: natalité suffisante. Après les retraites: natalité insuffisante. Et si, justement, c’étaient les systèmes de retraites eux-mêmes qui avaient déclenché la crise démographique? Cette hypothèse, de prime abord étrange, résiste en fait à un examen approfondi. Comme je l’ai montré dans un ouvrage détaillé (1), un lien de cause à effet peut être établi entre l’instauration des assurances vieillesse et la chute de la fécondité. Historiquement d’abord, on observe une très bonne corrélation. Dans tous les pays, dès que les pensions versées par le système de retraites ont permis aux plus âgés de vivre confortablement, la fécondité a chuté. Ceci s’est produit dans des nations aussi diverses que la Suisse, les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Japon, la Corée du Sud, l’Iran, la Tunisie, le Brésil… Plus frappant encore, on observe que le niveau de confort des pensions (proportion de la population couverte, montant des pensions, durée de la retraite) est inversement proportionnel à la fécondité, dans tous les pays. A tel point que ce degré de confort se révèle être un excellent prédicteur du niveau de la fécondité, dans un Etat donné. Les cas extrêmes, l’Espagne et l’Italie, qui ont la fécondité la plus basse, possèdent, comme par hasard, les assurances vieillesse les plus confortables. A l’autre extrême, l’Irlande et Israël, suivis de près par les USA, qui affichent des taux de fécondité réjouissants, s’avèrent dotés des systèmes de retraites les plus maigres. Pourrait-on à ce stade, plutôt que de parler d’une causalité, invoquer une cause commune pour ces deux phénomènes? Viennent à l’esprit entre autres l’enrichissement de la société, un changement de mentalité, le travail des femmes. En se plongeant de plus près sur la question, on doit constater que cette hypothèse n’est guère convaincante. L’Iran, le Brésil et la Tunisie ne se sont pas tellement enrichis. Les USA connaissent le travail des femmes en même temps qu’une assez bonne natalité, comme la Pologne pendant plusieurs décennies (jusqu’à l’introduction d’un système de retraites généralisé et confortable dans les années 1990). Mais si ce sont bien les systèmes de retraites qui sont coupables de la crise démographique, alors par quel mécanisme? Il semble que, sans le vouloir, sans même le savoir, les concepteurs de ces systèmes aient fait une erreur de calcul. Ils auraient oublié un terme dans l’équation multiséculaire de l’échange entre les générations. De toute éternité, chaque individu devait, tour à tour, recevoir et donner, avec la génération précédente. Il devait également donner et recevoir avec la génération suivante: chacun devait d’abord donner à la génération suivante (pendant qu'elle était dans l’enfance), pour pouvoir plus tard recevoir de cette génération suivante un soutien au soir de la vie. Les systèmes de retraites actuels ont brisé cette réciprocité. L’individu doit toujours donner à la génération précédente vieillie (via les «cotisations» payées par les actifs). Ce qui est juste, étant donné que chaque individu a forcément été pris en charge pendant son enfance par cette génération précédente. Mais l’individu reçoit de la génération suivante (pendant sa propre vieillesse) même s’il n’a rien donné à cette génération de toute sa vie. C’est là que le système pêche. Les dépenses consenties à la génération suivante n’ayant plus le moindre impact sur le soutien reçu pendant la vieillesse, il devient économiquement rationnel pour l’individu de les réduire au maximum, c’est-à-dire de limiter sa progéniture. Un « free lunch » a été involontairement instauré. Bien sûr, les gens souhaitent aussi des enfants en partie hors de toute considération financière. C’est la raison pour laquelle les taux de fécondité ne chutent pas à zéro. Mais le système en place exerce clairement une pression à la baisse sur le nombre des naissances. Comment sortir de ce piège involontaire? Le seul système de retraites viable à long terme sera celui qui comptera comme «cotisation» ce qui a été payé à la génération suivante, puisque ceci constitue la contribution financière réelle des affiliés à leur propre retraite. Une possibilité consisterait à permettre aux affiliés de verser pendant leur vie active une cotisation qui irait alimenter une caisse finançant les allocations pour enfants. Ces cotisations représenteraient la base de calcul pour la pension à recevoir pendant la retraite. Un élément autocorrecteur pour la fécondité pourrait être introduit en définissant des cotisations fixes par affilié. Les allocations pour enfants seraient alors mécaniquement d’autant plus élevées que le pays manquerait d’enfants, et d’autant plus basses que la natalité serait haute. Une telle réforme, rétablissant la solidarité entre les générations, exigera cependant un renversement presque copernicien des perceptions actuelles. Cela demandera du temps. Bien que certains pays aient déjà fait quelques pas timides dans ce sens − comme l’Allemagne avec la réforme Riester – l’alternative, un lent démantèlement des systèmes de retraites biaisés actuels, paraît hélas plus probable. La bonne nouvelle, c’est que, dans un cas comme dans l’autre, la natalité finira bien par remonter... (1) David Cosandey, La Faillite coupable des retraites – Comment nos assurances vieillesse font chuter la natalité, L’Harmattan, Paris, 2003. Le graphique ci-dessus montre que, dans un pays donné, plus le système de retraites est maigre, plus la fécondité est haute. |
Créé: 03 jun 2012 Derniers changements: 04 mai 2013
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