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Une citation de mon livre La Faillite coupable des retraites (2003/2004),
par le démographe Jacques Bichot de l'Univ de Lyon en déc 2012 dans un article
sur intitulé "Le vrai problème des retraites". Dans cet article, il baptise
"hermaphrodites" les systèmes de retraites aveugles.
(Jacques Bichot: "Le vrai problème des retraites", Magistro, 26 déc 2012) Copie de sûreté de la version internet: |
Le vrai problème des retraites
Jacques BICHOT Professeur émérite de l'université Jean Moulin (Lyon 3) 26 décembre 2012
La cause principale des difficultés que rencontrent nos régimes de retraites
par répartition se situe dans leur organisation juridique, qui constitue
un non-sens économique. La loi, un peu partout dans le monde, attribue
les droits à pension en fonction des cotisations vieillesse, alors que
ces cotisations ne servent à rien pour les pensions futures, puisque
sitôt encaissées elles sont transmises aux retraités actuels.
Les régimes de retraite par répartition font ainsi des promesses
sans se soucier de savoir si elles pourront être honorées. Quand l’échéance
se rapproche, leurs responsables (pouvoirs publics ou partenaires sociaux)
constatent que les caisses ne vont pas pouvoir verser tout ce qui était prévu;
ils modifient donc les règles du jeu, avec une entrée en fonction
des nouvelles règles plus ou moins rapide ou progressive selon les cas.
Autrement dit, les droits à pension sont rabotés: c’est une banqueroute partielle,
comme chaque fois qu’un agent économique promet plus qu’il ne pourra tenir à l’échéance.
À quelques exceptions près, comme Alfred Sauvy, votre serviteur, et David Cosandey, les économistes n’ont pas tiré la sonnette d’alarme. Certes, comme la plupart des démographes, beaucoup d’entre eux ont expliqué que la diminution de la natalité posait un sérieux problème, mais ils n’ont pas pointé du doigt l’absurdité des lois qui organisent l’attribution des droits à pension, le fossé qui les sépare de la réalité économique. Relisons par exemple ce qu’écrivait en 1992 Laurent Vernière, qui était alors chef du bureau des transferts sociaux à la Direction de la Prévision du ministère de l’économie et des finances, dans la revue de l’INSEE Economie et prévision. "Les droits futurs à pension acquis aujourd’hui en contrepartie des cotisations sociales représentent des créances sur les revenus du travail des actifs de demain. L’accumulation de ces droits, ou créances, est semblable à la constitution d’un patrimoine alimenté par les contributions versées tout au long de la vie active. C’est une forme d’épargne obligatoire. Ce patrimoine sera reversé à son titulaire sous forme de pension au cours de sa période de retraite." On se croirait dans un régime par capitalisation, où les cotisations peuvent effectivement générer des droits légitimes puisqu’elles servent à acquérir des actifs financiers et immobiliers dont les produits et la revente serviront à payer les pensions futures. L. Vernière précise que les régimes par répartition, pour honorer leurs promesses le moment venu, comptent sur les cotisations que verseront les générations futures. Il écrit : "l’effort de partage des revenus courants que consentent les générations en 2 activité en faveur des retraités trouvera sa contrepartie dans l’obligation faite aux générations futures d’actifs de réaliser un effort similaire." Tel est bien l’esprit des lois qui définissent les règles de base de la retraite par répartition : ces lois comptent sur l’existence de générations futures suffisamment nombreuses et bien formées pour produire non seulement ce qu’il leur faut, à elles et à leurs enfants, mais aussi ce qu’il faut à leurs aînés. À ce stade, juristes et économistes devraient réagir. Les juristes diraient probablement : "au nom de quel principe juridique peut-on faire peser sur nos cadets l’obligation de nous entretenir durant nos vieux jours ? Le fait de les avoir entretenus et éduqués durant leur enfance pourrait causer la naissance d’une telle créance ; mais pas le fait que nous ayons nous-même entretenus nos aînés, la génération de leurs grands-parents et arrière grands-parents. La naissance d’une obligation ne résulte-t-elle pas ordinairement d’un service rendu à celui qui va se reconnaître débiteur ? Où a-t-on vu que rendre un service à X suffisait pour devenir créancier de Y ?" Les économistes pourraient ajouter, comme le faisait Alfred Sauvy, que nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants. En effet, ce ne sont pas nos aînés qui vont, du fond de leur tombeau, produire ce que nous allons consommer à 70 ans ou 80 ans: ce sont nos cadets. Et pour qu’ils soient à même de le faire, il convient qu’ils soient assez nombreux et convenablement formés. La prise en charge de nos aînés ne peut pas être la cause économique des cotisations vieillesse et des impôts que verseront nos cadets à notre profit : cette cause économique réside dans l’apport qu’ils reçoivent de nous, qui leur permet de devenir des producteurs efficaces en nombre suffisant. La doctrine juridique et l’analyse économique sont donc d’accord sur un point : les "créances sur les revenus du travail des actifs de demain" ne peuvent avoir qu’une cause réelle et sérieuse, ce que les actifs d’aujourd’hui font pour qu’il existe demain de nouveaux actifs, assez nombreux et bien éduqués. Autrement dit : la mise au monde et l’éducation des enfants par leurs parents, et les apports pécuniaires (impôts ou cotisations) des actifs qui financent le système éducatif, l’assurance maladie des enfants et, via les prestations familiales, une partie de leur entretien. En bonne logique économique et juridique, ce sont ces contributions à l’investissement dans la jeunesse qui devraient être retenues comme base des droits à pension. Les cotisations vieillesse n’ont aucune raison de produire des droits à pension: en les versant, nous nous acquittons simplement d’une obligation que nous avons implicitement contractée en acceptant l’apport des adultes quand nous étions gamins. Il n’existe aucune raison valable pour faire des cotisations aux caisses de retraite par répartition la cause juridique de nos créances sur nos cadets. Il est d’ailleurs contradictoire de voir dans ces cotisations à la fois une redevance que les actifs doivent verser à leurs aînés, et une sorte de versement d’épargne les constituant créanciers des futurs actifs. Les anciens Grecs avaient certes en quelque sorte pressenti que l’accouplement d’Hermès et d’Aphrodite pourrait donner naissance à une telle curiosité, mais ils seraient certainement surpris de la voir dupliquée à des centaines de millions d’exemplaires ! Pourquoi un système de retraites à cotisations hermaphrodites n’est-il pas adapté ? Parce que, lorsque la naissance des créances sur les générations futures n’est pas proportionnée à l’investissement réalisé dans la jeunesse, on peut facilement distribuer beaucoup trop de droits à pension. La sagesse voudrait que l’on proportionne la quantité totale de droits attribués une année donnée à la production de capital humain (expression horrible mais commode) réalisée cette année-là : l’émission de droits à pension serait alors limitée à un niveau qui devrait permettre aux enfants et aux jeunes élevés à cette époque de faire face ensuite à leurs obligations vis-à-vis de leurs aînés. Mais dans un système comme le nôtre, il est tentant, pour faciliter le recouvrement des cotisations, de promettre qu’elles procureront de bonnes retraites, même si le nombre des enfants élevés et la qualité de leur éducation augure mal de ce qui se passera au moment d’honorer les promesses. Concrètement, il n’est pas raisonnable, à qualité d’éducation égale, de distribuer autant de droits à pension à une génération qui met au monde 1,9 enfants pour 10 femmes (cas des baby-boomers) qu’à une autre dont le taux de fécondité est 2,8 (cas des parents des baby-boomers). Mais si le dispositif légal présidant à l’attribution des droits se polarise sur les cotisations vieillesse, on ne diminue pas l’émission de ces droits quand la fécondité diminue, si bien qu’on est amené à pratiquer ensuite des sortes de banqueroutes partielles qui réduisent leur valeur. Les lois retraite de 1993, 2003 et 2010 constituent de telles réductions de créances, rendues nécessaires par une émission abusive due à la nature hermaphrodite des cotisations vieillesse. Nous pouvons certes continuer de la sorte: l’inflation des droits à pension n’est pas une hyperinflation. Mais en effectuant une réforme rationnelle des retraites par répartition, en rendant la cause juridique de la naissance des droits à pension cohérente avec la réalité économique, nous ferions un grand pas pour sortir des absurdités de l’État providence qui étouffent le dynamisme économique : l’investissement serait des plus rentables ! |
Créé: 06 sept 2014 Derniers changements: 06 sept 2014
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