Mardi 14 Août 2007
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Thalassopolitique européenne
[Jean-Sylvestre Mongrenier]
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Tournées pendant la Guerre froide vers la lutte contre les sous-marins
soviétiques, les flottes européennes ont entamé une révision stratégique
d'ensemble, entreprise menée à des rythmes divers et soumise aux
aléas des budgets militaires.
Les forces navales des principales nations européennes ont pour première
mission de s'assurer la maîtrise de l'espace aéromaritime. Outre la protection des approches maritimes du continent (green strategy) et le contrôle de la haute mer (blue strategy), la maîtrise de l'espace aéromaritime est le préalable aux missions de projection de puissance et de forces (ground strategy). Les capacités de projection des Européens conditionnent leur intervention sur des théâtres d'opération extérieurs. Elles sont donc essentielles à la prise en charge des missions de Petersberg et à la lutte contre le terrorisme (bombardement des groupes talibans en Afghanistan par exemple). Lors du lancement de l'Europe de la Défense, en 1999, il a donc été prévu de mettre en oeuvre un groupe aéronaval européen, organisé autour d'un porte-avions.
En l'état actuel des choses, cinq porte-aéronefs de l'ordre de 20 000 tonnes
(Royaume-Uni: 3 ; Italie et Espagne: 1 chacune) sont recensés en Europe,
ainsi qu'un porte-avions nucléaire français de 45 000 tonnes (le Charles-De-Gaulle).
Il faut en effet distinguer les porte-avions (avec catapultes) des porte-aéronefs
(sans catapultes, conçus pour des avions à décollage vertical), la France seule
disposant d'un véritable porte-avions. Plusieurs projets de construction sont
en cours. Les ambitions britanniques ont été précédemment résumées. En Italie,
un deuxième porte-aéronefs est prévu pour début 2008 (le Cavour qui devrait
à terme remplacer le Garibaldi). Dans le cas de la France, le deuxième porte-avions
est à l'étude depuis la Loi de programmation militaire 2003-2008. En février 2004,
l'Elysée a fait connaître sa préférence pour un bâtiment à propulsion classique,
en vue d'une étroite coopération franco-britannique. En juin de la même année,
Thales et DCN ont créé une société commune pour assurer la maîtrise d'oeuvre
de ce bâtiment.
Depuis, la valse-hésitation du pouvoir politique et la primauté
de l'Etat-Providence sur l'Etat régalien hypothèquent ce projet.
Réponse à l'automne 2007.
En cette époque de rétraction des Européens sur leur base continentale
et dans l'attente d'une décision favorable, il faut souligner combien
la géographie, l'histoire et l'économie de l'Ancien Monde sont
étroitement liées au fait océanique. Outre la civilisation commune
aux peuples et nations d'Europe, c'est en effet l'étroite imbrication
des terres et des mers qui distingue le continent européen de la masse
terrestre asiatique. Péninsules, isthmes et grandes îles confèrent
à l'Europe un visage à nul autre pareil.
Pour le géopolitologue helvétique David Cosandey, concepteur de
l'« hypothèse thalassographique », la maîtrise des fleuves et mers
d'Europe puis de l'Océan mondial est à l'origine de la longue hégémonie
des peuples et nations de l'Ancien Monde (David Cosandey,
Le Secret de l'Occident, Arléa, 1997).
Ainsi, Génois et Vénitiens au Moyen Age, Portugais et Espagnols à l'aube
des Temps modernes, Français, Hollandais et Anglais dans les siècles qui
suivent, sont les lointains héritiers de la thalassocratie créto-mycénienne
et de l'Odyssée.
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Sur le plan géostratégique, les conflits du XXe siècle ont souligné l'importance du « sceptre de Neptune » dans la recherche de l'avantage stratégique et la quête de l'imperium mundi. Sur le plan géoéconomique, la mondialisation (globalization), maître mot des années 1990, se révèle être plus précisément une maritimisation des flux et une littoralisation des activités. L'Océan mondial couvre plus de 70% de la superficie du globe, près des trois-quarts des échanges commerciaux transitent par voie maritime et les 4/5e de la population mondiale résident à moins de 500 km des côtes. Toute politique planétaire comporte donc nécessairement une « thalassopolitique » et, consécutivement, on ne saurait penser une Europe de la Défense indépendamment de sa dimension navale et maritime. Penser l'Europe, c'est penser ipso facto le Globe et l'Océan mondial.
Confrontés aux ferments de dispersion internes et aux pressions de leur hinterland eurasiatique, il est entendu que les Européens doivent s'appuyer sur le pilier américain et leur « grand arrière » nord-atlantique : l'Europe, de l'Atlantique à l'Oural, et non point l'inverse. Pour autant, un aussi vaste ensemble que l'Union européenne, composé de corps de nations aux fortes identités, ne saurait se contenter de simples « niches » militaro-tactiques au sein de l'OTAN. Nul n'en disconvient. Encore faudrait-il se doter des « outils » à même de peser dans la conception et la conduite des « grandes stratégies » occidentales. La rhétorique est au « volontarisme » mais c'est à l'aune des budgets et des capacités que l'on jaugera des intentions.
La décision de construire ou de ne pas construire un second porte-avions français est un test décisif.
Jean-Sylvestre Mongrenier est
chercheur à l'Institut Français de Géopolitique (Paris VIII) et chercheur associé
à l'Institut Thomas More (Paris-Bruxelles). Spécialisé dans les questions de
défense européenne, atlantique et occidentale - il participe aux travaux du
Groupe de réflexion sur la PESD de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).
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