English

Accueil

L'anthrolopologue Roland Viau de l’Université de Montréal (Canada) citant mon livre Le Secret de l'Occident (édition 1997) ainsi que mon interview dans le Journal de Genève (novembre 1997), dans son ouvrage Amérindia – Essais d'ethno-histoires autochtones paru en septembre 2015 (raccourci).
R.Viau présente dans cet ouvrage dix articles retraçant l'histoire de la rencontre, au Québec, entre Iroquois (au sud du golfe du St-Laurent), Algonquins (au nord du golfe du St-Laurent et sur le littoral atlantique) et Népissingues (au nord-ouest de Montréal) d'une part et Français et Anglais d'autre part.

Une "ethno-histoire" étant une histoire
(1) écrite du point de vue de l'ethnie concernée (en l'occurence les Eurasiens de l'Est ayant colonisé en premier le futur Québec) et non pas du point de vue de l'ethnie de l'auteur (à savoir les Eurasiens de l'Ouest, ayant colonisé le Québec en deuxième), et
(2) portant sur une époque où l'ethnie concernée n'avait pas d'écriture; cette histoire doit donc s'appuyer sur des sources non-écrites, comme la tradition orale et l'archéologie (mais aussi sur des sources écrites... eurasiennes de l'ouest !).
Roland Viau promet dans le prologue de ne pas tomber dans le piège de la dépréciation systématique des colons ouest-eurasiens et d'une idéalisation excessive des colons est-eurasiens.


Roland Viau: Amerindia – Essais d'ethnohistoire autochtone, Presses de l'Université de Montréal, 21 septembre 2015, 262 pages.

Copie de sûreté des versions internet: février 2020. Source.
Théorie de la Science

Cosandey





Roland Viau:
Amerindia
Essais d'ethnohistoire autochtone


Préface Gilles Bibeau
Presses de l'Univ de Montréal
21 sept 2015






Overview
CE QU’EN DIT L’ÉDITEUR

De nos jours, on ne défend plus l’idée que les peuples autochtones conquis et colonisés étaient sans culture ou sans histoire, tout en reconnaissant néanmoins que leur histoire était obscure et leur univers culturel opaque pour les premiers voyageurs européens. Roland Viau écrit ici la rencontre entre l’Europe et l’Amerindia en donnant la parole à l’Autre. Sa perspective est globale, proche de la world history – symbiose entre les disciplines de la mémoire: ethnologie, histoire et archéologie – et loin de la vision d’un monde façonné par le seul Occident. Sans poursuivre le procès d’intention fait aux colonisateurs de l’Amérique du Nord, l’auteur dresse un portrait saisissant des Autochtones à travers le récit de leurs traditions orales, leurs cosmologies et leurs mythes. Il nous invite à penser le monde dans sa longue durée et dans la compréhension des relations souvent conflictuelles entre les sociétés dominantes du Nord et les nations encore globalement dominées du Sud.

Roland Viau est chercheur-enseignant au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal et a publié, entre autres choses, cinq essais anthropologiques et historiques, dont Enfants du néant et mangeurs d’âmes, Prix du Gouverneur général, et Du pain et du sang. Les travailleurs irlandais et le canal Beauharnois paru aux PUM en 2013. Roland Viau est chercheur-enseignant au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal et a publié, entre autres choses, cinq essais anthropologiques et historiques, dont Enfants du néant et mangeurs d’âmes, Prix du Gouverneur général, et Du pain et du sang. Les travailleurs irlandais et le canal Beauharnois paru aux PUM en 2013.



pages 250-250
Citation -- vers les pages 240-250

(…) ...entaillée de mers intérieures et de golfes de l’autre (49). C’est elle, soutient de façon convaincante Cosandey, qui a favorisé à la fois un morcellement politique et une ouverture maritime. Les conditions étaient réunies pour que, de la lente accumulation d’inventions de l’Occident, puisse jaillir la révolution techno-scientifique (50).


Note 49: Voir la thèse audacieuse de David Cosandey Le Secret de l'Occident, du miracle présent au marasme présent, Arléa, 1997, p.265-266. Lire également l’entretien de l’essayiste avec Anton Vos, "Inventifs les Européens?", Journal de Genève et Gazette de Lausanne, samedi 22 et dimanche 23 nov 1997, p.29.

Note 50: David Cosandey, op cit, p.266.


critique
Critique Amazon, 11 juillet 2017

J’ai acheté et lu ce livre parce que je m’intéresse aux autochtones du Canada et parce qu’il a remporté le Prix du Gouverneur général en 2016. Il s’agit d’un livre académique, mais que l’auteur a écrit dans un style accessible. Je le verrais bien utilisé comme lecture complémentaire dans un cours tel que celui que l’auteur a enseigné à l’Université de Montréal pendant dix ans, Méthodologie anthropologique.

En effet, dans la première partie, intitulée « Ethnologie, mode d’emploi », l’auteur propose une méthode pour étudier des peuples du passé qui ont laissé peu ou pas de traces écrites. Dans les deux parties suivantes, il applique sa méthode pour décrire les autochtones du bassin du fleuve Saint-Laurent dans la période entourant l’arrivée des premiers Français en Amérique du Nord.

Bien que personnellement je sois plutôt intéressé à en apprendre davantage sur les autochtones d’aujourd’hui, je reconnais qu’on peut mieux comprendre un peuple en étudiant son histoire et ce livre m’a éclairé sur certains aspects spécifiques de cette histoire.

Extraits
Extrait tiré du chapitre 4, «La terre veuve. Où est passée la Laurentie iroquoienne?», p. 72-74.

Le 6 mai 1536, lorsque Cartier met à la voile, le navigateur malouin retourne en France et emporte à son bord dix Iroquoiens séquestrés, dont Donnacona, le porte-parole des habitants de Stadaconé, et ses deux fils. Malgré la promesse de Cartier de les ramener riches dans leur pays, aucun d’entre eux ne devait revoir le Canada. On peut supposer par conséquent que les enlèvements perpétrés par les Français, suivis, les 18 juillet et 13 décembre 1536, de deux éclipses du soleil qui se produisirent, ont sans doute été interprétés par les chamanes iroquoiens comme n’augurant rien de bon.

Au retour de l’homme de mer de Saint-Malo, cinq ans plus tard, sans aucun des natifs qu’il avait conduits en France contre leur propre gré, l’accueil des Stadaconiens fut assez mitigé, sinon glacial. Ayant fait l’expérience de promesses non tenues, les indigènes, avec leur esprit d’ouverture et leur bienveillance, auraient laissé place à une opinion moins favorable sur des hommes entreprenants considérés maintenant comme suspects de magie. Cela expliquerait probablement pourquoi les Français aux aguets s’installèrent en amont de Québec, à Cap-Rouge, plutôt qu’à l’emplacement de 1535-1536, sur les bords de la rivière « Sainte-Croix » (aujourd’hui Saint-Charles), où ils entamèrent des travaux de construction préventive d’une place forte.

Peut-être même les Français ont-ils été d’abord tolérés dans d’étroites conditions d’occupation du territoire et de circulation ? Cela rendrait compte du fait que, durant l’hiver de 1543, près du quart des gens accompagnant Roberval, soit environ 50 personnes, furent victimes du scorbut. Il est probable qu’après avoir discuté de l’attitude à adopter à leur égard, les Stadaconiens ne souhaitaient pas la conciliation ni la cohabitation quotidienne et n’étaient plus disposés à les secourir ni à mettre à leur disposition les plantes thérapeutiques de leur pharmacopée traditionnelle.

À Montréal, entre 1541 et 1543, quels ont été les liens que les Français entretinrent avec les Iroquoiens ? Les insulaires recherchèrent-ils leur commerce ? L’archipel demeurait-il un territoire ami ? Furent-ils traités avec autant d’égards qu’en 1535 alors que le Tout-Hochelaga, au moins un millier de personnes, s’était porté à la rencontre de la délégation française pour l’accueillir à bras ouverts, avec des danses et en lui servant à manger ? Ou, au contraire, les visiteurs ont-ils été tenus en suspicion et jugés mal disposés ? Bref, les rapports avec la population locale avaient-ils aussi tourné au vinaigre ?

Sur ce point, le récit du troisième voyage de Cartier montre bien l’animosité qui régnait, témoigne de Français sur la défensive et laisse entendre qu’il y avait lieu de s’inquiéter. Il appert que 400 natifs se portèrent au-devant d’eux et « semblèrent [leur] faire très bon accueil et se réjouir de [leur] arrivée », rapporte son auteur anonyme. On ne doit cependant pas s’illusionner devant ces apparences : « il ne fallait pas se fier à ces belles manifestations et signes de joie car, s’ils s’étaient crus les plus forts, ils auraient tout fait pour nous tuer, comme nous nous en rendîmes compte par la suite ». Le détail des événements ultérieurs nous reste inconnu. Pourtant, de toute évidence, la situation avait dégénéré. Français et Iroquoiens semblent avoir développé une haine partagée et irréconciliable. D’où peut-être la véritable raison du départ précipité de Cartier du Canada.


Compte-rendu de Erudit.org
12 juin 2018
par Marie-Charlotte Franco


Comptes rendus d'Erudit.org

Amerindia : essais d’ethnohistoire autochtone, Roland Viau. Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2015, 247 p. Marie-Charlotte Franco


Roland Viau, anciennement enseignant-chercheur au département d’anthropologie de l’Université de Montréal, publie en 2015 Amerindia : essais d’ethnohistoire autochtone. Lauréat du Prix du Gouverneur général pour la deuxième fois en 2016 dans la catégorie essai (son livre Enfants du néant et mangeurs d’âmes – Guerre, culture et société en Iroquoisie ancienne lui avait valu un premier prix en 1997), il ouvre ici la voie à de nouvelles réflexions quant à l’histoire pré- et post-contact entre les Premières Nations et le Régime français. Spécialiste de l’Iroquoisie et de l’Algonquinie, il nous livre un bilan de ses recherches sous forme d’essais qu’il dédie à son directeur de maîtrise et de doctorat, le professeur Norman Clermont.

L’auteur, qui se décrit lui-même comme étant à la fois « anthropologue par formation, amérindianiste par choix et historien par méthode » (p. 165), présente ici dix essais, dont sept sont inédits. Fruit d’un travail de recherche interdisciplinaire, Amerindia explore les possibilités qu’offre l’ethnohistoire comme méthode de recherche et de croisement des sources afin de proposer un « réquisitoire contre le partage des savoirs » (p. 21). Endossant, dans un premier temps, l’étiquette de l’enseignant pour ensuite adopter celle du chercheur, cet ouvrage se découpe en trois parties non linéaires portant sur la méthodologie de l’ethnohistoire, sur l’approfondissement de certaines thématiques et différents moments de l’histoire des familles iroquoises et algonquiennes de la période de contact jusqu’à nos jours, ainsi que sur le concept de relativisme culturel de Claude Lévi-Strauss et l’idée de progrès occidental. L’objectif de l’auteur est double : démontrer les liens qui unissent l’anthropologie et l’histoire – et plus spécifiquement toutes les disciplines des sciences humaines entres elles – afin de comprendre un phénomène humain dans sa complexité, et réfléchir au statut et à l’utilisation des sources qui évoluent à la fois dans le temps et dans l’espace selon ceux qui s’y réfèrent. Viau tente finalement de rééquilibrer le discours et l’historiographie de la période des contacts en incluant le point de vue autochtone grâce à une multitude de sources considérées comme autant de documents historiques. Les deux visions du monde, mises l’une en face de l’autre, se confrontent, se contredisent parfois, mais surtout s’alimentent et offrent une nouvelle dimension aux échanges survenus entre les nations autochtones et les colons, puis leurs descendants. Comme le rappelle dans sa préface Gilles Bibeau, professeur émérite à l’Université de Montréal, Roland Viau est finalement l’un des défenseurs de la world history ou histoire globale, par la tentative d’une écriture de l’histoire décentrée grâce aux points de vue apportés, aux locuteurs retenus et aux discours construits.

L’ouvrage, découpé en dix chapitres, aborde plusieurs thématiques. En guise de premier essai, Roland Viau propose une réflexion fort bien étayée sur l’utilité de l’ethnohistoire comme moyen de confronter tout type de source. Présentant la discipline, il revient sur les débats entourant la méthodologie en discutant notamment de la vision de l’anthropologue Bruce Trigger. Cette démonstration des possibilités qu’offre l’ethnohistoire aux chercheurs pour interpréter l’histoire et se rapprocher le plus possible de la complexité d’une situation étudiée – qu’elle soit lointaine ou plus contemporaine – lui permet aussi de justifier son projet. Selon lui, l’ethnohistoire n’est d’ailleurs pas l’apanage des études autochtones, mais sert également à l’étude d’autres groupes culturels ou sociaux laissés pour compte et dont la documentation peut être lacunaire. Tous les types de sources, qu’elles soient écrites, orales, iconographiques, matérielles ou même naturelles, ont donc un potentiel historique et herméneutique qu’il importe d’utiliser, de critiquer et même de nuancer. Ce premier chapitre, sorte de manuel méthodologique, permet à quiconque de comprendre la démarche employée et de l’appliquer à son sujet de recherche. En effet, les deux tableaux « Typologie du document historique » et « Représentation schématique d’une démarche d’enquête ethnohistorique » rendent compte de l’interpénétration des disciplines qui se tissent au sein du processus de recherche. Ensemble, ils résument clairement le déroulement de ce type de recherche et ses avantages.

Les deuxième et troisième parties de l’ouvrage présentent les recherches de l’auteur sur les peuples issus de l’Iroquoisie et de l’Algonquinie. Viau ouvre ses réflexions par le récit iroquoien de la Grande Tortue marine, à l’origine de l’humanité. Plongés dans cet univers cosmologique inclusif, il donne la possibilité aux lecteurs d’opérer un décentrement de leur posture issue des Agnonha, ces colons européens arrivés par bateaux

Par la suite, l’auteur aborde l’histoire controversée du site d’Hochelaga sur l’actuel territoire de Montréal. Il rappelle ainsi les conflits archéologiques, ethnologiques et historiques entourant la localisation du village iroquoien décrit par Jacques Cartier lors de son voyage en 1535, mais disparu ensuite. Grâce à l’ethnohistoire, qui combine l’ensemble des sources disponibles, et notamment les recherches menées en géographie physique, il situerait plutôt le village sur le flanc extérieur sud du mont Royal.

Dans le quatrième chapitre, Roland Viau se concentre sur un autre épisode historique controversé : la disparition de la Laurentie iroquoienne – qu’il attribue essentiellement à des causes microbiennes et infectieuses. Le contact des colons européens et de leurs animaux d’élevage avec les populations autochtones aurait engendré la transmission de maladies contre lesquelles les Iroquoiens n’étaient pas immunisés. L’auteur rappelle ici les lacunes importantes des recherches menées dans les archives historiques – notamment le manque de critique concernant l’absence d’informations sanitaires, probablement volontairement égarées ou censurées à l’époque coloniale. À ce titre, notons l’étonnante absence de renvois à l’ouvrage Pour une autohistoire amérindienne : essai sur les fondements d’une morale sociale, écrit par le Wendat Georges Sioui, qui consacrait déjà en 1989 un chapitre entier aux maladies comme cause de la mortalité chez les populations autochtones dès les premiers contacts.

Après avoir discuté de la cosmologie iroquoienne, mais aussi de la question de l’habitat et du territoire, l’auteur, dans son cinquième essai, s’arrête un temps sur les relations diplomatiques à l’époque de l’Iroquoisie et des contacts avec les Européens. Viau décrit le fonctionnement politique des Iroquoiens en insistant sur les moments de paix et de guerre. Adoptant un point de vue original, il met en valeur les liens existant entre les relations diplomatiques, la prise de parole et le vocabulaire, trois éléments particulièrement valorisés par les Amérindiens à cette époque. L’auteur remet alors en question la transposition possible du concept européen – puis d’ascendance européenne – de la guerre pour rappeler que les épisodes violents en Iroquoisie visaient essentiellement à capturer des prisonniers à des fins sociales, domestiques et parfois économiques. La diplomatie iroquoienne était ainsi réglée par des rituels. Elle respectait également des protocoles, notamment les échanges sous forme de dons et de contre-dons.

La troisième et dernière partie de l’ouvrage entend élargir la notion d’ethnohistoire en incluant certains événements contemporains permettant d’éclairer celle-ci et des récits largement acceptés aujourd’hui. En lien avec l’article précédent, ce sixième essai décrit le mythe de Tadohaho à l’origine de la création de la Confédération des cinq nations iroquoises entre 1470 et 1600 – la nation des Tuscaroras fut ajoutée entre 1713 et 1722. Par le biais de la tradition orale iroquoise encore très prégnante aujourd’hui, Roland Viau poursuit sa réflexion sur les modalités de paix et de guerre en Iroquoisie. L’analyse de ce mythe – la transformation d’une figure maligne en un chef garant de la paix – offre des indications sur les notions de chefferie et de pouvoir en vigueur au sein de la Confédération et permet de mieux réfléchir à la création et au rôle de la Société des Guerriers par l’artiste Louis Karoniaktajeh Hall, mise en place dans le contexte de l’American Indian Movement des années 1970, et encore active auprès des Mohawks traditionalistes.

Le chapitre suivant revient sur la « Grande Paix de Montréal » – appellation mise en question et nuancée par Viau et Gilles Havard, entre autres auteurs – et la célébration du tricentenaire de sa signature. Ironisant sur la portée actuelle de l’événement, l’auteur propose une réflexion sur l’édification, voire la muséalisation, d’un fait historique ne disposant toutefois pas de tous les éléments oraux et matériels pour l’appuyer : il ne reste qu’une copie calligraphiée par le secrétaire de Callière datée de quelques jours suivant la ratification, ainsi que deux témoignages de Claude-Charles Le Roy dit Bacqueville de La Potherie, contrôleur de la Marine et des Fortifications. Ainsi, remet-il en cause l’importance contemporaine de cet épisode sur lequel les historiographies aussi bien francophones qu’anglophones, mais aussi la tradition orale iroquoise, ne se seraient presque jamais attardées. Quoiqu’un peu orphelin dans l’ensemble de l’ouvrage, cet essai traite toutefois de l’importance historiographique de ce traité dans la construction d’une mémoire historique puis muséale sur le sujet. Les réflexions entourant cette commémoration démontrent la capacité de l’ethnohistoire à déconstruire et nuancer un épisode érigé à tort comme exemplaire. Roland Viau rappelle d’ailleurs aussi l’existence d’objectifs politiques et médiatiques dont les nations autochtones peuvent être victimes aujourd’hui.

Le huitième essai se concentre sur les modes de vie et les instances de socialisation dans l’Algonquinie avant le contact et depuis 1850. La description précise et succincte de la famille et de sa place au sein d’un système clanique exogame permet au lecteur de se représenter le tissu social général alors en place. En insistant sur les bouleversements sociaux et culturels dus à l’expansion de l’économie coloniale – le commerce des fourrures, l’exploitation forestière et minière –, l’auteur dresse une liste des conséquences dévastatrices provoquant la destruction et la déculturation des systèmes identitaires algonquiens. Les deux tableaux récapitulatifs à la fin de l’essai démontrent l’explosion depuis 1850 des différents noyaux de socialisation traditionnels algonquins en groupes marqués par l’influence européenne et catholique. L’auteur en appelle finalement à la résilience et à la réappropriation culturelle des communautés issues de l’Algonquinie par le biais, entre autres, de leur langue et de leur cosmologie.

Le neuvième chapitre revient sur la mission et la réduction des Népissingues à l’île-aux-Tourtes puis au lac des Deux-Montagnes à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe. Principalement grâce aux archives des Sulpiciens, Roland Viau décrit cette nation amérindienne, son mode de vie, sa composition familiale, son appareil politique et même ses traditions religieuses, dont la fête des Morts. Habitués de la présence française – ils rencontrent Samuel de Champlain dès 1612 –, ils sont rapidement victimes des effets de l’alcool puis décimés par les maladies. Dans la suite de son essai, Roland Viau décrit également le système du commerce des fourrures depuis l’ouest de l’île de Montréal vers Albany. Les groupes autochtones préféraient effectivement échanger les pelleteries avec les Anglais, non sans conséquences sur leurs relations avec les colons français et les surveillances accrues par la suite.

Enfin, Roland Viau conclut son ouvrage par une réflexion sur ses expériences d’enseignement au département d’anthropologie de l’Université de Montréal et ses travaux de recherche à l’Institut national de recherche scientifique (INRS) depuis le début des années 1990. Il engage ainsi une discussion ouverte sur la question de civilisation et de progrès en évoquant les avantages et les limites du concept de relativisme culturel, ainsi que la prégnance de l’Occident sur les autres modes de penser et d’agir possibles.

En revenant sur la construction du temps passé et présent, l’auteur tient également à rappeler les emprunts culturels dont l’Occident a usé pour finalement s’approprier des découvertes scientifiques et des progrès technologiques.

En guise de conclusion, son essai ouvre vers une perspective plus décentrée, en dehors d’une suprématie occidentale caractérisée par une pensée comparatiste et évolutionniste et parfois même destructrice, comme il le rappelle dans les dernières pages de son ouvrage. L’ethnohistoire, mais aussi la distance critique, géographique et temporelle avec l’objet de recherche, permettent, pour lui, de mieux cerner des faits humains : « Bref, l’anthropologue dit à l’historien que c’est avant tout en abordant avec un relativisme certain le progrès technique que nous arriverons à une meilleure compréhension des faits de culture et des phénomènes de société observés et étudiés par les sciences humaines et sociales. » (p. 174) Enfin, l’humilité, l’humanité et la bienveillance envers ce qui nous entoure, rappelées par Luther Standing Bear, membre de la nation sioux lakota, et par Claude Lévi-Strauss, permettront de réviser, de façon holistique, nos responsabilités envers toutes espèces vivantes.

Amérindia : essais d’ethnohistoire autochtone est un formidable tour de force à plusieurs points de vue. Destiné aux étudiants et aux chercheurs, il ne manquera pas, néanmoins, de piquer la curiosité de tous les amateurs d’histoire québécoise et autochtone. Par la diversité des sujets traités et une documentation extrêmement diversifiée, l’auteur réussit à valoriser l’histoire et l’historiographie de l’ethnohistoire autochtone en adoptant un point de vue original. À ce titre, les notes à la fin de l’ouvrage révèlent une recherche ethnohistorique approfondie, à la fois dans les archives de missionnaires, les écrits des auteurs autochtones – notamment la retranscription de témoignages oraux de deux membres du clan du Loup chez les Kanien’kehá:kas (Mohawks) d’Akwesasne –, ainsi que dans des travaux d’historiens et d’anthropologues parfois largement commentés et critiqués, et même dans les archives de la NASA.

La description de certains mythes et traditions permet également de nuancer les archives et les connaissances construites par les missionnaires, les amateurs et les chercheurs qui ont étudié les populations de l’Iroquoisie et de l’Algonquinie depuis les premiers contacts. D’autre part, en choisissant de discuter, voire de critiquer, certaines hypothèses – la localisation du site d’Hochelaga n’en est qu’un exemple –, l’auteur rend compte de la prégnance des débats actuels dans les sciences sociales et de la construction de l’histoire à des fins politiques et nationales (le chapitre sur la célébration du tricentenaire de la signature de Grande Paix de Montréal est particulièrement éclairant).

Enfin, les sources orales issues des membres de Premières Nations, coïncidant avec les traditions orales ancestrales et les travaux de chercheurs, engagent une réflexion plus complète. L’ensemble permet à l’auteur de démontrer la qualité de la recherche produite par cette méthodologie interdisciplinaire. Il est alors flagrant que les constructions historiques, anthropologiques et ethnohistoriques devront sans cesse être requestionnées et déconstruites à la lueur des voix issues des minorités, que ce soient les nations autochtones ou d’autres groupes laissés pour compte.

Toutefois, le lecteur pourra déplorer quelques lacunes dans Amérindia.

D’abord, sans pour autant ternir l’originalité et la pertinence scientifiques de l’ouvrage, la construction argumentative ainsi que l’enchaînement des idées et des essais auraient mérité d’être explicités de façon plus rigoureuse en introduction. En effet, si une première partie destinée à présenter la discipline ethnohistorique semble bienvenue au début du livre, le découpage des deuxième et troisième parties, mais aussi la relation des essais entre eux, ne semblent pas aussi clairs, n’étant ni chronologiques, ni géographiques ou culturels. Le lecteur aura donc parfois l’impression de lire des miscellanées des recherches de Roland Viau plutôt qu’une synthèse, où un autre agencement des chapitres entre eux aurait permis une meilleure compréhension générale.

Par ailleurs, bien que les notes soient extrêmement détaillées et parfois même discutées, une bibliographie générale aurait permis de mieux prendre la mesure de l’immensité et de la diversité des sources utilisées. À ce titre, même si le lecteur peut repérer, de façon assez fastidieuse tout de même, quelles sont les sources, autochtones – orales et écrites –, utilisées, une section claire sur ce point aurait valorisé l’importance des savoirs autochtones en contexte de recherche ethnohistorique.

En dernier lieu, bien qu’existante, l’iconographie aurait mérité une place plus importante dans cette publication. Érigés comme sources historiques par l’auteur dans son premier essai, les cartes géographiques, les oeuvres d’art et les documents manuscrits reproduits sont malheureusement plutôt là comme illustration, voire comme appui à un argument, que comme documentation historique à part entière qu’il conviendrait de discuter, nuancer et faire dialoguer avec les sources écrites. À ce titre, l’ouvrage de l’anthropologue Neil Keating, Iroquois Art Power and History (2012, University of Oklahoma Press), est un exemple percutant du dialogue possible entre les sources iconographiques, textuelles et orales. Ce dernier dispose également d’informations importantes qui auraient pu être reprises et/ou mentionnées dans certains des essais.

En somme, Amerindia : essais d’ethnohistoire autochtone permet sans nul doute de rendre compte de manière plus complète de l’histoire de l’Iroquoisie et de l’Algonquinie, mais aussi des relations entre les autochtones et les colons, puis leurs descendants. En souhaitant insérer les Amérindiens dans une trame historique non plus parallèle à celle vécue par les colons, mais bien en dialogue et en opposition en terre partagée d’Amérindia, Roland Viau favorise également le rapprochement des histoires et des personnes qui ont vécu côte à côte. Cet ouvrage, intégré au courant de la World History, trouvera probablement un écho favorable en ce moment charnière où la parole des nations autochtones se fait de mieux en mieux entendre et où les premiers pas d’une réconciliation semblent avoir lieu sur la côte est de l’Amérique du Nord.


Extraits de JSTOR
copiés 22 mars 2020
par


Extraits de JSTOR

Une marque de déférence (pp. 19-22)

Explorateur inlassable du passé humain et didacticien sans pareil de l’archéologie, Norman Clermont, mieux que quiconque, aura appris à ses étudiants ce qu’est le principe méthodologique du relativisme conséquent, qui guide l’anthropologue dans sa démarche d’enquête. Mieux que personne, il aura su faire comprendre la logique des situations. De son enseignement, tous retiendront que, pour travailler en anthropologie, il faut une curiosité d’esprit aiguisée, un soupçon d’intuition visionnaire, faire preuve d’une compréhension imaginative de ce qui se passe dans l’esprit des gens d’en face ou de ceux d’alors, garder une fougue juvénile, développer une mémoire photographique, voire poétique, devenir un...


PREMIÈRE PARTIE

1 Ethnohistoire, mode d’emploi (pp. 25-52)

C’était à l’Université de Montréal, le 10 septembre 1991, lors de ma soutenance de thèse portant sur la guerre en Iroquoisie ancienne¹. Après l’exposé introductif de rigueur, j’appréhendais la question qui déconcerte. Elle vint la première, posée par l’examinateur externe et ethnohistorien Charles A. Martijn (né en 1934) : « Le candidat affirme, à la page 13 de sa dissertation, qu’il a tiré profit de toute une typologie de sources documentaires pour mener à terme son étude. Néanmoins, il a jugé que les témoignages oraux s’avéraient inefficaces à constituer seuls un domaine de la culture permettant de véhiculer l’histoire des...


DEUXIÈME PARTIE

2 Divines origines. Brève histoire des premiers temps (pp. 55-60)

Dans la pensée mythique des Iroquoiens², la création de l’humanité constitue un événement essentiellement féminin. De génération en génération, les membres de ce peuple "autochtone d’Amérique du Nord" [plutôt colons antérieurs aux Français] se transmettent de bouche à oreille un récit venu du fond des âges voulant que leurs ancêtres soient les descendants d’êtres surnaturels³. Les récitants de cette tradition orale disent qu’au tout début la Terre était entièrement submergée, qu’au commencement des temps, dans le firmament, existait un monde sans maux, sans froid ni chaleur, sans Lune ni étoiles, ni Soleil. (...)

3 Hochelaga. Quand Montréal avait un nom indien (pp. 61-66)

À l’automne de l’an 1535, quand Jacques Cartier (1491-1557) remonte le Saint-Laurent et pose le pied sur l’île de Montréal, le navigateur breton aborde le territoire d’une troisième province politique iroquoienne, Hochelaga. En aval, Cartier et ses hommes ont déjà séjourné à Stadaconé (Québec) et visité Achelacy (Portneuf)¹. Hochelaga était alors le chef-lieu de la région montréalaise. À cette époque, l’endroit constituait aussi une agglomération rurale, en retrait du fleuve et à proximité de champs cultivés le long de la rivière Saint-Pierre, formée par le ruisseau Saint-Martin (aujourd’hui la rue Saint-Antoine) qui rejoignait d’autres ruisseaux. Cet établissement, où Cartier et (...)

4 La terre veuve. Où est passée la Laurentie iroquoienne ? (pp. 67-76)

À trop mettre la responsabilité de la disparition de la Laurentie iroquoienne sur les rivalités causées par la diffusion des produits européens et le contrôle de l’accès aux sources d’approvisionnement¹, les archéologues sous-estiment le fait que, dès les premiers contacts entre bateaux et canots, allochtones et autochtones se sont aussi échangé des microbes². La plupart des spécialistes avancent toutefois que la série d’épidémies et l’hécatombe qui ont frappé les Autochtones de l’est du Canada et des régions américaines limitrophes auraient débuté seulement au xviiesiècle. Ces enquêteurs du passé évaluent notamment que les maladies infectieuses ont réduit de moitié leurs (...)

5 Les frères d’Agreskwe. Guerre et paix en Iroquoisie (pp. 77-84)

La guerre et la paix en Iroquoisie, comme partout ailleurs, étaient deux comportements culturels antithétiques mais qui s’inscrivaient toutefois en continuité ou dans un seul et même processus social. Certes, la paix est un phénomène plus complexe que la guerre¹. Pourtant, elle ne saurait constituer une invention récente comme certains l’ont suggéré². Le besoin de paix est aussi vieux que la passion belliqueuse. Guerre et paix ont toutes deux une histoire longue dans l’odyssée de l’humanité³.

De la paix, nous disons qu’elle consiste en des rapports entre des personnes qui ne sont pas en conflit, en querelle. Comme si la...


TROISIÈME PARTIE

6 Philosophie d’un mythe. Tadodaho et la Société des Guerriers (pp. 87-106)

Il était une fois en Iroquoisie, au temps jadis, bien avant la rencontre des deux mondes, un personnage fabuleux, belliqueux et fort hideux appelé Tadodaho¹. Son corps montrait sept distorsions produites par un vice de conformation². Ses mains et ses pieds ressemblaient aux pattes de la tortue et de l’ours. Son phallus et ses bourses difformes le rendaient tout à fait abject. Son être, habité par un esprit hargneux et mû par la fureur, ne recelait aucune trace de générosité. Un tortillon de vipères hérissées embroussaillait sa chevelure. D’où son nom, Tadodaho, qui signifiait « Emmêlé ». Élu par des...

7 Montréal 1701-2001. Commémorer une paix pour en acheter une autre (pp. 107-120)

En août 2000, Le Devoir révélait que le Jardin botanique de Montréal allait bénéficier d’un projet d’une valeur totale de 3,5 millions de dollars pour aménager un Jardin des Premières Nations, incluant un pavillon d’interprétation et une exposition permanente¹. L’entreprise, financée en partenariat par la Ville de Montréal, le Gouvernement du Québec et le secteur privé, allait donner le coup d’envoi aux événements visant à commémorer le troisième centenaire de la Grande Paix de Montréal de 1701. D’un point de vue anthropologique, la pertinence d’une telle démarche avait de quoi surprendre. En effet, le rapport que les premiers occupants du...

8 Une société de la forêt. L’Algonquinie avant la tutelle (pp. 121-142)

Au moment de l’arrivée des Mistigoche (« bateaux de bois ») en Amérique¹, l’entité ethnique et culturelle qui se désigne collectivement dans sa langue comme les Anishnabe (« les êtres humains »), mais que les Eurocanadiens nommeront les Algonquins (« nos alliés »), occupait et exploitait principalement les terres de la vallée de l’Outaouais². Ce peuple sylvestre était alors subdivisé en différents agrégats sociaux structurés par des relations de parenté et par différentes stratégies d’approvisionnement rythmées par les cycles saisonniers.

La famille (ote), c’est-à-dire un groupe de personnes reliées par le sang, l’alliance (ou le mariage) et l’adoption, et dont...

9 Une utopie religieuse. La mission népissingue de l’Île-aux-Tourtes (pp. 143-164)

Le Séminaire de Saint-Sulpice, installé à Paris depuis 1645, ne joua jamais un rôle prééminent dans l’aventure montréalaise même s’il avait été associé à la fondation de Ville-Marie². En 1657, cette congrégation envoie néanmoins des prêtres séculiers qui vivent en communauté, s’occupent d’exercer leur ministère auprès de la population établie dans les seigneuries de l’île, puis de christianiser et de franciser certains des groupes amérindiens cantonnés à Montréal ou en périphérie. Vers 1670, pour mener à bien son projet, la compagnie créa la mission algonquienne de Gentilly, en face de Dorval, la déplaça à Baie-d’Urfé, après 1674, et la renomma...

10 Tous sauvages. Dérives et misères de la civilisation (pp. 165-182)

Dans son Apostille au nom de la Rose, Umberto Eco (né en 1932) mentionne qu’un titre doit embrouiller les idées, non les embrigader¹. J’ai fait mienne la proposition de l’écrivain, érudit et romancier, en intitulant mon texte « Tous sauvages ». La querelle de voisinage ou les rapports encore ambigus, voire difficiles, entre historiens et anthropologues ont engendré son titre. Voyons un peu pourquoi.

Anthropologue par formation, amérindianiste par choix et historien par méthode, je dirai d’abord que les anthropologues n’ont pas beaucoup à apprendre aux historiens sur le plan de la méthodologie de la recherche en sciences humaines et...

11 Un chantier d’avenir (pp. 183-184)

L’étrange animal apparu sur Terre il y a deux millions d’années et l’existence même de milliers de générations d’hominidés qui se sont succédé à la surface de cette planète posent à l’esprit curieux des défis de connaissance multiples. On voudrait théoriquement saisir leur réalité révolue comme si elle était du présent ethnographique, de l’histoire immédiate. À défaut de pouvoir déjouer le temps, on fait ce qu’on peut. On devient a lors archéologue, historien, voire ethnohistorien. C’est un peu la même chose. En effet, l’ethnohistoire n’est qu’une parcelle du champ de la curiosité ouvert sur le passé. Ce champ est à la...








Créé: 28 mar 2020 – Dernière modif: 30 mar 2020