Les continents orphelins ?
Introduction
Isabelle Surun
Université Lille-Nord de France/CNRS IRHiS
Hugues Tertrais
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CNRS IRICE
(...)
Construction(s)
Nommer, comprendre, différencier... Notre connaissance du monde
est bien sûr inséparable des représentations que nous en avons
et en premier lieu des cartes. Celles-ci ne sont pas seulement
les outils indispensables à tous les domaines de l’activité humaine,
elles passionnent également. Michel Houellebecq, dans
La carte et le territoire (6), suggère que,
si elles rendent intelligible un territoire, elles lui donnent
en effet aussi une esthétique propre. Pour Sylvain Tesson,
autre habitué des prix littéraires, « La carte est le stade
ultime de l’appropriation de la Terre par l’homme » (7).
L’idée est séduisante.
(...) Les principaux termes qui désignent
les parties du monde viennent de [la représentation de l'espace]
fixée dans la Grèce antique, qui partageait l’écoumène en trois :
Asia, « femme » ou « mère » de Prométhée
dans la direction du Levant ; Europe, proche de Zeus,
dans la direction du Couchant ; Libye, aimée
par Poséidon, qui s’identifia à l’Afrique, septentrionale
du moins. L’océan divinisé apparaît comme un fleuve
entourant une terre composée de l’Europe, de l’Asie
et de la Libye.
(...)
La carte a d’abord produit les continents par contraste.
Les premières grandes navigations rendaient possible et
obligeaient de cartographier les masses océaniques, plus précisément
les repères nécessaires à l’activité maritime :
longtemps incomplets, imparfaits aussi, les planisphères
ainsi conçus faisaient surtout apparaître le [contour] des terres
émergées : un mot d’origine latine suggérant un espace
continu existait, « continent » ; des noms propres
s’avéraient également disponibles depuis environ deux millénaires.
L’Europe, l’Afrique et l’Asie connaissaient une nouvelle naissance.
Les grandes navigations permirent à leurs acteurs de compléter
la carte avec un Nouveau monde auquel fut donné un nom dérivé
de celui du navigateur Amerigo Vespucci. Au-delà de la reconnaissance
par les Britanniques de l’Australie pour « austral »
au tournant du XIXe siècle, ce tropisme océanique donna finalement
son nom à ce qui, étymologiquement, était tout sauf un continent :
l’Océanie.
[une analyse
discutable: l'Océanie est aussi appelée l'Australie, elle est
bel et bien centrée, comme les 5 autres continents, autour
d'une masse terrestre principale]
La représentation d’un monde partagé en cinq continents
[erreur:
il n'y a aucune raison de compter 5 continents. Du point de
vue géographique, ils sont 6: AN, AS, Eurasie, Afrique, Océanie,
Antarctique]
s’est finalement détachée de la carte pour devenir
une représentation symbolique à contenu universel :
les cinq anneaux entrelacés du drapeau olympique, affiché
très régulièrement depuis 1920, en forment la meilleure
illustration (10).
(...) Avant que celle des cinq continents ne s’impose durablement,
les représentations de l’espace ne se sont pas construites
partout de manière identique. Dans la culture chinoise, rappelle
Li Hongtu dans son article, le monde est traditionnellement ce qui
est « sous-le-ciel » (11) et ce que nous appelons
la Chine dans la langue zhongguo, le pays du Milieu
en occupe l’espace. Il est également situé entre
« quatre mers » (12), selon une représentation
toujours prégnante, en particulier au Japon : dans le Manifeste
publié en 1926 à Tokyo à l’occasion de son accession au trône impérial,
Hirohito évoque notamment les « frères des
quatre mers », pour souhaiter que l’amitié subsiste
avec eux (13).
(...)
La preuve par l’Asie
Le mot Asie serait apparu au premier millénaire avant notre ère
en Mésopotamie, désignant semble-t-il la direction du Levant,
et figure depuis sur toutes les représentations de l’espace
venues du Proche-Orient ancien (15). Les Grecs répartissaient,
on le sait, l’écoumène en trois espaces, la Libye, l’Asie et l’Europe,
l’Asie représentant l’Orient : au Ve siècle avant notre ère,
Hérodote s’en étonnait lui-même (16). Presque mille ans plus tard,
une carte figurant l’administration territoriale du Bas-Empire romain
montre toujours une Asia sur l’emplacement de l’actuelle Turquie
occidentale, sur la rive orientale de la mer Egée (17).
Un millénaire et demi plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, quiconque
traverse le Bosphore à Istamboul passe toujours sur sa rive asiatique.
L’usage du mot, en quelque sorte déterritorialisé [??], se fait discret
pendant plusieurs siècles, alors que se dessinent les premiers planisphères
notre âge « moderne » lui préfère souvent le mot
Inde pour désigner l’espace oriental que commençaient à sillonner
les navigateurs et marchands portugais, hollandais, français et anglais.
Claude Markovits explique notamment dans son article comment
l’Estado da India portugais structura symboliquement autour de la
vice-royauté de Goa une vaste étendue maritime allant du Mozambique à Timor.
Certains chroniqueurs continuent d’utiliser le mot Asia, mais les
Britanniques reprennent le terme Inde quand leur propre compagnie
commerciale, l’East India Company, s’implante dans la région,
trace ses routes de l’Atlantique sud à la mer de Chine et constitue,
à la fin du XVIIIe siècle, un quasi-État au Bengale, le Company Raj.
Ce que nous regroupons aujourd’hui dans « l’Asie méridionale »
en porte alors la marque : Indian Burma, Indian Malaya...
Entre-temps, les Hollandais s’étaient établis aux Indes néerlandaises
avec leur propre Compagnie des Indes orientales (VOC) (18).
Claude Markovits constate au XVIIIe siècle la réapparition du mot Asie
[initiée] par la Russie, ses explorations et ses géographes, qui
s’attachent notamment à en définir une frontière occidentale, que
les planisphères ne permettaient pas d’établir (19): s’étendant
largement sur l’« Eurasie », dont l’Europe est détachée
par les promoteurs des cinq continents, il importait sans doute
à la Russie de ne pas être confondue avec cette Asie improbable
et peut-être arriérée. Le mot Asie – ou l’idée – aurait-il lui aussi
migré des rives méditerranéennes vers les plaines russes, où Moscou
s’autodésigne « troisième Rome » après la chute de Constantinople
en 1453 ? (...) L’« Extrême-Orient » (...) apparaît
avec le XXe siècle (...) et regroupe les mondes indiens
et sinisés (20). Pour autant, le mot [Asie] n’a pas disparu :
dans le même temps, un Comité de l’Asie française se constitue à Paris
pour y promouvoir les intérêts français (21).
Existe-t-il aujourd’hui une définition de l’Asie ? Dans un ouvrage
académique sur le sujet, paru en 1971 et faisant sans doute suite
à une commande éditoriale, le géographe Pierre Gourou considère
l’ensemble des territoires compris entre Méditerranée
et Pacifique, à l’exclusion de la Sibérie soviétique mais
la « Sixième partie : l’Asie occidentale »,
que nous appellerions plutôt aujourd’hui Proche-Orient,
n’est pas la plus fournie. Le livre regroupe l’Asie centrale
avec la Chine et la Corée, n’en retenant pas les républiques
éponymes alors soviétiques, et consacre une partie distincte
au Japon. Mais il a en quelque sorte déconstruit lui-même
l’objet de l’ouvrage en introduction. Après en avoir discuté
les limites et vainement cherché ce qu’« Asiatiques »
pourrait [vouloir] dire, il ne trouve qu’un seul trait commun
entre eux : il est « incontestable, c’est la continentalité »
climatique ; mais pour ajouter presque aussitôt : « Il n’y a pas
d’humanité “asiatique” » (22). En fait, déclara-t-il
dans un autre cadre, « l’Asie n’existe pas » (23).
[cela va de soi,
si on cherche une signification culturelle derrière ce mot... c'est
enfoncer une porte ouverte]
L’usage du mot Asie, importé dans toutes les langues des pays
qu’il recouvre, en illustre les limites : même si le mot
y apparaît de plus en plus intériorisé, les populations concernées
ne se considèrent pas, ou alors très secondairement, comme
« asiatiques »,
[évidemment,
puisque c'est une notion géographique, et non culturelle...
mais qu'en sait-elle, au juste, a-t-elle interrogé 3 milliards
de personnes?]
au sens où les Occidentaux l’entendent, mais simplement, par exemple,
chinoises ou indonésiennes. Mais le mot effectue au XXe siècle
un « retour » spectaculaire, notamment du fait de son
instrumentalisation et après un passage par l’archipel nippon.
L’ambivalence du mot Asie apparaît en effet particulièrement nette
au Japon. Depuis [l'ère] Meiji et la fin du XIXe siècle, les Japonais
ne se sentent pas « asiatiques » : leur pays s’est
hissé au-dessus d’une Asie synonyme de foules pauvres et paysannes
et, de ce point de vue, ils se sentiraient plutôt occidentaux ;
[à nouveau, I.Surun
confond entre définition culturelle des habitants de l'Asie et définition
géographique... le sentiment que l'on a ne change rien au lieu où
l'on habite. Même si les Japonais ne se sentent pas voie-lactéiens,
ils le sont bel et bien, tous...] en même temps, ils sont les
seuls à avoir cherché à construire une Grande Asie à la faveur
de la Seconde Guerre mondiale, alliant prospérité et libération
– de l’Occident. La Japonaise Eri Hotta a montré, à propos de cette
« guerre de Quinze ans » et de la « Sphère de coprospérité
de la Grande Asie orientale », les différents niveaux, intérieurs
et internationaux, de l’instrumentalisation de l’idée asiatique
dans la période le Panasiatisme (24).
Dans la continuité de ces épisodes, le mot Asie est précisément
repris sur un mode stratégique par les Britanniques, qualifiant le théâtre
de leur reconquête sur le Japon en 1945 d’« Asie du Sud-Est ».
L’idée de cette dernière, restée longtemps imprécise, est couramment
utilisée depuis, quoique–
comme l’Asie elle-même dans un périmètre variable en fonction
des référents considérés : l’Asie du Sud-Est synonyme de
sous-développement trace dans les années 1960 une diagonale
de pauvreté dans l’Asie méridionale, intégrant même le Pakistan ;
l’Asie du Sud-Est synonyme de décollage, après le tournant des années 1970,
a les traits d’un axe longeant le littoral pacifique du continent,
parfois Japon compris (25).
L’instrumentalisation de l’idée asiatique a trouvé un écho
particulier dans les années 1990, précisément celles du
« miracle » asiatique (26), dont plusieurs
leaders politiques de la région ont tenté de s’approprier
la paternité : le temps était venu des « valeurs
asiatiques », essentiellement faites d’autorité, de tradition,
et censées expliquer les performances économiques du moment.
Un peu comme le général Tojo avait affiché en 1943,
« l’unité culturelle » de la « Grande Asie
orientale » (27), dont la démonstration serait difficile
à faire. [Deux] dirigeants aussi différents l’un de l’autre
que l’étaient le Premier ministre malaisien de l’époque,
Mahathir Mohamad, et le parlementaire nationaliste japonais
Ishihara, s’en font les chantres en 1995 en publiant
The Voice of Asia (28).
Les modalités de la construction régionale structurent
également l’idée d’Asie, en même temps qu’elles en brouillent
le périmètre. Le sport a été mobilisé, avec les Asian Games
et, plus récemment, les South East Asian Games.
Mais une construction plus institutionnelle s’est développée
depuis les années 1960, renforçant mécaniquement l’idée d’Asie :
[toujours
cette confusion d'I.Surun entre la culture et la géographie...]
dans un contexte un peu équivalent à celui de l’Europe, mais avec
beaucoup moins d’ambitions, la déclaration de Bangkok
fonda en 1967 l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN),
dix ans après les traités de Rome ; elle trouva sa justification
de containment dans les développements géopolitiques de
la région, notamment le basculement dans le communisme, en 1975,
des trois pays indochinois. Depuis la fin du face-à-face Est-Ouest
en 1990, les tentatives de regroupement régional rassemblent
les énergies sans qu’aucune ne débouche sur la mise sur pied
d’une organisation comparable, en plus vaste.
Comment définir l’Asie dans les évolutions actuelles ?
[comme toujours!
les "conditions actuelles" ne changent rien à la géographie...]
Le rêve d’une Union asiatique a encore été formulé au Japon
en 2009, après qu’un sommet du même nom en eut réuni les acteurs
quatre ans plus tôt à Kuala Lumpur. Mais la répartition
de ceux-ci pose à nouveau la question de l’identité
« asiatique » :
alors qu’une conception malaisienne – celle de Mahathir – dessinait
une Asie au sens presque européen du terme, incluant éventuellement
l’Inde, le Japon et les États-Unis y ajoutaient... l’Australie
et la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’approche des réalités mondiales
par les statistiques internationales contribue à mettre à mal
le cadre des continents [dans
la perception du grand public...], s’agissant particulièrement
de l’Asie : les rapprochements régionaux aux limites incertaines
le disputent aux regroupements par niveaux de développement, sans
toujours de cohérence géographique. (...)
(...)
Hiérarchisations : continents et races humaines
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la diversité
des sociétés humaines observée par les voyageurs à la surface
de la terre reçoit une nouvelle interprétation qui rompt
avec le déterminisme climatique en vigueur depuis la
Renaissance (29).
Émerge alors un modèle téléologique de l’histoire de l’humanité,
que Ronald Meek a formalisé sous le nom de « théorie des stades »,
théorie selon laquelle les sociétés humaines peuvent être situées
sur un gradient ascendant qui va du primitif au civilisé,
en fonction de leur mode de production : chasseurs-cueilleurs,
pasteurs, agriculteurs, puis stade « moderne »
caractérisé par le commerce et l’industrie (30).
Or ce modèle anthropologique appuyé sur des critères économiques
et sociaux vient s’arrimer, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles,
« moment naturaliste » de l’anthropologie (31),
au projet de faire de l’homme un objet d’étude indissociablement
moral et physique, qui produit un autre modèle (...),
la classification des races humaines (32).
Ainsi, associant l’histoire naturelle de l’homme et son histoire civile,
une théorie historique permettant de rendre compte de l’évolution
de l’humanité et un modèle taxinomique qui en classe les types physiques
trouvent une expression spatiale en projetant leurs objets communs
sur la mappemonde, dont les contours achèvent de se mettre en place
avec les dernières grandes explorations maritimes. Les terres découvertes,
cartographiées, nommées, sont aussi l’habitat de peuples (...)
caractérisés par un état social et un type physique. Les limites et l’origine
des peuplements posent alors aux savants des questions nouvelles,
à la croisée du temps et de l’espace (33): la Société de géographie
de Paris, fondée en 1821, propose ainsi en 1824 un prix pour une étude
portant sur l’origine des peuples d’Océanie (34). [On vise] à la fois
à reconstituer une histoire planétaire de l’humanité et à situer chaque peuple,
identifié à une race, sur le curseur de l’évolution humaine.
Le planisphère publié par Bory de Saint-Vincent en 1827 (35),
analysé par Christophe Brun dans ce dossier, illustre bien ce type
de démarche : le naturaliste identifie des berceaux distincts
de l’humanité (36), définis par l’histoire géologique de la planète
[qu'il imagine] caractérisée par l’émergence progressive
de masses terrestres, concomitante à l’abaissement du niveau des océans.
Bory entreprend de donner couleur humaine au planisphère en couvrant
les terres émergées d’aplats aquarellés plus ou moins continus.
Cependant, la distinction entre les masses continentales ne s’y superpose
pas exactement à la distribution des « espèces » humaines, dont
plusieurs sont transcontinentales
[ouf! I.Surun a enfin compris
qu'il faut distinguer entre les continents, une catégorie géographique,
et leurs habitants humains...]. La classification du genre humain comporte
une hiérarchie explicite, mais elle ne relève pas d’un déterminisme
climatique.
C’est « l’état social », associé à la caractérisation d’un
« potentiel physiologique », qui devient le nouveau critère
de hiérarchisation, annonçant un racialisme à la fois physiologique
et civilisationnel. Par simplifications successives, les planisphères
publiés dans les manuels scolaires ou les atlas destinés au grand public
à la fin du XIXe siècle identifient à chaque continent le berceau d’une
race humaine (...).
Modélisations : masses continentales et articulations littorales
L’état social des populations d’un continent donné trouve une autre explication
sous la plume du géographe allemand Carl Ritter (1779-1859), titulaire
de la première chaire de géographie à l’université de Berlin à partir de 1820,
et fondateur la Société de géographie de Berlin, qu’il dirige (37).
Ritter procède à un examen des possibilités qu’offrent les différents continents
au développement humain en les comparant au regard de leurs dimensions
et de leurs formes. De cette démarche comparative fondée sur la lecture
de cartes résulte un système de classification qui repose sur une analyse
morphologique : ce sont d’abord les liens maritimes ou terrestres entre
continents, mais aussi le rapport entre le développement littoral et la surface
totale de chaque continent – c’est-à-dire le degré de leur
« articulation » –,
qui expliquent la plus ou moins grande insertion des espaces dans le mouvement
historique mondial, source de progrès ; c’est ensuite la diversité interne des
formes du relief et des milieux naturels qui permet d’évaluer les possibilités
d’échanges entre espaces complémentaires à l’intérieur d’un continent.
Ritter expose ces vues dès les années 1820 (38), puis de façon
plus systématique dans une conférence donnée à l’académie royale des Sciences
de Berlin le 1er avril 1850, dont nous reproduisons des extraits
en encadré (39).
Selon cette grille de lecture, certaines « formes telluriques »
sont plus ou moins propices au progrès des peuples qui les habitent. Ainsi,
l’Afrique, continent massif et dépourvu aussi bien d’articulations externes
que de variété intérieure, et l’Océanie, découpée jusqu’au morcellement,
constituent deux extrêmes peu favorables aux échanges et au développement
de civilisations.
L’Asie se divise entre une partie massive au nord et au centre, faisant
barrière aux influences extérieures, et de vastes péninsules au sud,
foyers de civilisations. Seule l’Europe, bien articulée et harmonieusement
différenciée, connaît « toutes les perfections possibles à l’espace »,
« causes de sa prépondérance sur le monde » (40).
Le modèle est européocentrique et cède à l’idéal du juste milieu, tout comme
le déterminisme climatique d’un Jean Bodin, pour lequel seul le climat tempéré
pouvait favoriser la tempérance des mœurs et l’esprit d’entreprise, tandis que
les peuples septentrionaux, de tempérament sanguin, se montraient belliqueux,
et que les peuples méridionaux étaient voués à la contemplation... Mais le
modèle rittérien relève d’un déterminisme spatial, dans lequel les formes,
les dimensions et les discontinuités l’emportent sur la relation homme-milieu [??].
De plus, tandis que Bodin déclinait son modèle climatique sur les peuples européens
placés à des latitudes différentes, Ritter érige le continent en entité morphologique
organique et en fait l’unité classificatoire pertinente, sans pour autant
s’interdire de recourir à des échelles plus fines. Sa lecture des formes
repose sur un effet de source : il est tributaire des cartes disponibles
dans la première moitié du XIXe siècle, période de transition, où l’achèvement
des grandes circumnavigations a conféré aux contours des continents une visibilité
d’autant plus grande que leur intérieur constitue encore un grand vide cartographique.
En 1850, l’exploration de l’intérieur de l’Afrique, de l’Australie, voire de
l’Asie centrale, ne faisait que commencer. Comment Ritter pouvait-il alors
se prononcer sur leurs caractéristiques topographiques et leur différenciation
interne ? Il s’agit là d’une modélisation de cabinet qui cède à l’illusion
cartographique plutôt qu’elle ne met en ordre un savoir empirique nouveau (41).
[enfin un début de réflexion
de la part de I.Surun, mais qui ne la mène pas bien loin: C.Ritter connaissait
déjà très bien le profil littoral de l'Asie et de l'Afrique, objet principal de
ses réflexions.].
CARL RITTER
« De la configuration des continents sur la surface du globe
et de leurs fonctions dans l’histoire »
Discours à l’académie royale des Sciences de Berlin, le 1er avril 1850.
Traduction d’Élisée Reclus, 1859, in Carl Ritter, Introduction à la géographie comparée,
édité par Danielle et Georges Nicolas-Obadia, Paris, Les Belles Lettres, 1974, p. 234-238.
Nous ne saurions refuser aux diverses formes de l’écorce planétaire une tendance au progrès,
au développement de leur organisme, pourvu toutefois que l’histoire s’harmonise
avec la nature. Tâchons maintenant de distinguer dans cette ordonnance extérieure
des parties du monde comment chacune développe ou arrête le progrès, et indiquons
en passant le caractère saillant de leur influence sur le monde. [...]
Qu’il nous suffise de rappeler que les formes différentes des trois parties
de l’ancien continent, l’ovale de l’Afrique, le rhomboèdre de l’Asie et le triangle
de l’Europe, impliquent aussi trois rapports différents entre leurs dimensions.
À l’Afrique, si compacte, qui compte autant de degrés de longitude que de latitude,
s’oppose l’Europe, qui, sur une longueur double ou triple de sa largeur,
présente à l’Océan Atlantique la pointe d’un triangle dont la base repose sur l’Asie.
L’Afrique est un tronc massif et régulier, sans articulation aucune. L’Asie, avec un corps
aussi puissant, mais non aussi régulièrement développé que celui de l’Afrique,
est douée de fortes et riches articulations au sud et à l’orient.
Quant à l’Europe, sa masse ouverte de tous les côtés est articulée au sud,
à l’ouest et au nord, et à son intérieur, de nombreux rameaux dont la richesse naturelle
supérieure à celle de leur tronc commun devait assurer à cette partie du monde
la prépondérance civilisatrice. L’Asie n’est pas comme l’Europe ouverte
à l’Océan dans toutes les directions, et le milieu de ce continent est resté fermé
aux entailles maritimes qui, si avant qu’elles aient pénétré, n’ont pas pu,
comme en Europe, y harmoniser les contrastes de mers et de pentes opposées.
Ainsi l’immense Asie centrale, analogue en cela à la massive et compacte Afrique,
n’a pas pu participer aux inappréciables avantages que lui auraient donnés
les articulations prolongées des côtes. [...]
Bien que certaines de ses articulations approchent en grandeur de la moitié
de l’Europe, leur ensemble le cède beaucoup en surface à celle du tronc compact
dont la masse a servi de barrière aux civilisations qui grandissaient à ses extrémités,
mais restaient dans l’isolement. Aussi le milieu du tronc asiatique est resté
patrie monotone des peuples nomades ; tandis que dans les péninsules si richement
favorisées de la nature, la Chine, les deux Indes
[probablement l'Inde
et l'Indochine], l’Arabie, l’Asie Mineure
et autres pays moins vastes, se développaient des civilisations individuelles,
incapables encore de pénétrer jusqu’au centre de l’Asie.
Aucun accident [dans les] contours de l’Afrique, qui offre un développement
de côtes moindre que toute autre partie du monde ; cette disposition
éloigne le plus possible l’intérieur des terres du contact vivifiant de l’Océan.
Toute individualité de pays ou de nation a été ainsi refusée à cette masse uniforme
dont toutes les extrémités également distantes du centre sont soumises
à peu près à la même chaleur tropicale. L’Afrique [...] est malheureusement
restée partout identique à elle-même, et n’a pu être vivifiée par aucune variété
ni par aucun contraste. Aussi le patriarcat s’y est conservé sans contact
avec les progrès de l’histoire, et des siècles semblent s’interposer
entre l’Afrique et son avenir encore mystérieux. [...]
L’Asie nous offre un tout autre spectacle par le développement riche,
bien que partiel, de ses côtes et de ses articulations fortement individualisées.
Chacune d’elles, séparées des autres par une ligne de démarcation, et rapprochée
en même temps par les relations maritimes, a reçu de la nature une dot différente
en plaines et montagnes, en cours d’eau, en souffles de vents, en produits divers.
Leurs peuples se caractérisent également par des individualités saillantes,
et de vifs contrastes distinguent le Chinois et le Malais, l’Hindou, le Persan,
l’Arabe et l’habitant de l’Asie Mineure. [...]
Le morcellement de l’écorce planétaire dans la Polynésie et la formation compacte
de l’Afrique sont deux extrêmes qui agissent d’une manière opposée sur la nature
et sur les peuples, mais qui tous deux exercent une influence funeste et ralentissent
le progrès de leurs habitants. Sur la surface la plus déchirée, les Malais du groupe
de la Sonde sont plus qu’aucun autre peuple divisés en tribus ennemies ;
dans la masse la plus compacte, les peuplades serrées de nègres
sont uniformément barbares dans leur uniforme pays. Ce sont là des formes
telluriques relativement défavorables pour le dégrossissement des peuples
encore sauvages. Entre ces deux extrêmes se trouve l’Europe, non pour ralentir,
mais pour accélérer le mouvement. Par suite de sa surface moins étendue et
plus facile à embrasser du regard, par suite du développement de ses côtes,
de ses articulations, de son système insulaire, elle a rempli toutes les perfections
possibles à l’espace, et a pu réaliser plus tôt que les autres sa destination planétaire.
[...] Dans la faible superficie de l’Europe, et dans l’harmonie si peu remarquée
de ses formes, nous devinons les causes de sa prépondérance sur le monde,
celles de sa grandeur et de sa liberté.
|
Cependant, le savant allemand [n'était pas le premier dans ses
observations]. Ainsi, l’idée d’une exceptionnalité géographique du
continent africain est attestée chez James Rennell, cartographe
attitré de l’African Association, fondée en 1788 à Londres pour
promouvoir l’exploration de ce continent, si proche et si inconnu.
Dans un mémoire publié en 1790, Rennell considère l’Afrique,
« formé[e], par le Créateur, avec un contour et une surface
totalement différents de ceux des autres parties du monde »,
comme dépourvue de tous les dispositifs hydrographiques qui favorisent
la circulation des hommes et des marchandises à l’intérieur des autres
continents :
« Elle n’a point de mers intérieures telles que la Méditerranée,
la Baltique ou la Baie d’Hudson ; elle ne renferme aucun lac
de la grandeur de ceux de l’Amérique septentrionale ; on ne lui
connaît point, comme aux autres continents, des rivières qui coulent
du centre aux extrémités. [...] Parmi le petit nombre des rivières
connues, quelques-unes, au lieu de porter leurs eaux tributaires
à l’Océan, se terminent par absorption ou évaporation ;
on est fondé du moins à le penser, en n’apercevant aucune trace
de leur jonction avec la mer, ou avec quelque grand fleuve » (42).
L’incertitude qui a conduit les cartographes, depuis d’Anville,
à ne pas représenter sur les cartes d’Afrique les segments du réseau
hydrographique non attestés (...), devient pour
Rennell la certitude d’une absence géographique. De la même façon,
la surface du continent tout entier est décrite comme un espace vide,
parsemé çà et là de points d’habitation isolés, image du désert
sur les cartes, mais aussi réactivation d’une métaphore en vigueur
dans la géographie de Strabon : « Quoique les Anciens
eussent peu de documens sur l’intérieur de l’Afrique, ils s’étoient
fait cependant une assez juste idée de sa surface ; car l’un d’eux
la comparoit à une peau de léopard » (43)
La discontinuité supposée de l’habitat, étendue par métonymie
de la Libye des Anciens à tout le continent, vient à l’appui
d’une explication « du peu de progrès de ce pays vers la
civilisation » (44) par l’isolement dans lequel seraient
cantonnées ses populations.
La « théorie des articulations littorales » connaît une
diffusion assez large dans la seconde moitié du XIXe siècle,
par l’intermédiaire d’Élisée Reclus en France et d’Ellen Semple
aux États-Unis, et devient un lieu commun des ouvrages de vulgarisation
et de la géographie scolaire (45). Scientifiquement déconsidérée
comme explication de la singularité européenne lorsque l’Europe voit
sa puissance décliner après la Première Guerre mondiale, elle a été
récemment remise à l’honneur par David Cosandey, comme un facteur
causal parmi d’autres, au sein d’un grand récit du progrès
scientifique (46).
(...) le modèle élaboré par Ritter (...) prenait aussi en considération
la configuration topo-hydrographique de l’intérieur des continents,
examinant, à la manière de Rennell, les effets des reliefs
sur la production de contrastes et ceux des cours d’eau
sur la circulation et la mise en relation d’ensembles
différenciés.
[De façon amusante], à la fin du XIXe siècle, cette grille de lecture
des continents [se voit] mobilisée dans le cadre du projet colonial.
[Elle] devient le support d’un « plan général d’action »
qui vise [en construisant voies ferrées et canaux à compenser un peu]
la géographie des continents défectueux. Ainsi, Gabriel Hanotaux,
ministre des Affaires étrangères presque sans interruption de 1894 à 1898
et ardent propagandiste de la politique coloniale de la France,
élabore-t-il, pour effacer les « résistances » de l’Afrique
à la pénétration coloniale, une « théorie de l’assiette
renversée » qui doit beaucoup au cadre interprétatif rittérien (47) :
non seulement l’Afrique, caractérisée par « sa masse, sa lourdeur »,
qui « la rendent manifestement impénétrable », présente un
faible développement littoral, mais les cours d’eau ne peuvent
y jouer le rôle facilitateur qu’ils ont ailleurs, en raison
de l’importante dénivellation qu’on y rencontre à proximité
de l’Océan, entre une région côtière et un plateau intérieur,
et qui arrête la navigation par une série de rapides: « En Afrique,
les fleuves ne viennent pas en aide à la civilisation ;
ils l’entravent » (48). Il convenait donc de remédier
à cette situation :
« Le continent africain est comparable à une assiette
renversée ; un bourrelet de hauteurs entoure, à proximité
des bords de la mer, un plateau intérieur isolé. C’est
cette conformation qui a retardé la civilisation de cette partie
du vieux continent, les embouchures des fleuves n’ayant pas,
sauf dans la région du Nil, d’accès véritable vers l’intérieur.
Maintenant, observait-on, le problème pouvait être résolu
par l’application des découvertes modernes ; et la solution
consisterait : 1. à articuler le plateau intérieur avec la côte,
par un système de voies ferrées franchissant le bourrelet et les cascades
pour assurer des débouchés vers la mer ; 2. à relier entre eux
les grands fleuves qui arrosent le plateau intérieur » (49).
Il s’agissait d’enserrer l’Afrique dans un corset ferré greffé
sur son orographie et sur son hydrographie, de façon à rétablir
les liaisons manquantes (50).
(...)
Dissolutions et dépassements
Nouveaux découpages, nouvelles échelles
Tout en reconnaissant le caractère éminemment relatif des métagéographies
qui ont présidé à l’émergence des catégories continentales, Lewis et Wigen
se refusent à abandonner toute tentative de découpage de la surface
de la terre [en grandes zones culturelles]. Ils proposent dans la conclusion
de leur ouvrage une série de principes auxquels devrait obéir une classification
non hiérarchisée des espaces mondiaux. Ils prônent l’abandon de tout
ethnocentrisme [européen] dans la définition
des limites, des critères de découpage, comme dans la nomenclature, mettent
en garde contre la tentation de généraliser quelques caractéristiques locales
à tout un ensemble spatial, et rappellent l’exigence de comparer des entités
spatiales comparables par la taille, le poids démographique
[cela paraît idiot:
on ne peut pas exiger a priori que toutes les aires culturelles aient
la même population...] et la cohérence interne.
Ainsi, la comparaison entre un « Occident » resserré et
historiquement cohérent et un « Orient » vaste et hétérogène,
tout comme l’habitude qui a longtemps
prévalu de considérer la péninsule européenne comme un « continent »
au même titre que l’Asie et de rétrograder la Chine et l’Inde au rang de
« sous-continents », leur semblent des exemples typiques d’erreurs
épistémologiques condamnables (62). La lutte contre l’européo-centrisme
passe ainsi par une salutaire provincialisation de l’Europe.
[un fatiguant pléonasme]
C’est finalement à l’échelle infracontinentale qu’ils identifient de grandes
« régions du monde » qui peuvent être considérées comme des
aires culturelles.
La carte qui en résulte en reconnaît quatorze : Amérique du Nord ;
Amérique ibérique (excluant le Brésil) ; Amérique africaine (incluant
le Brésil) ;
Europe centrale et occidentale (sans les Balkans) ;
Russie-Europe du Sud-Ouest et Caucase ; Asie centrale ;
Asie orientale ; Asie du Sud (péninsule indienne) ; Asie du Sud-Est ;
Micronésie et Polynésie ; Mélanésie ; Australie et
Nouvelle Zélande ; Asie du Sud-ouest (Proche et Moyen-Orient)
et Afrique du nord ; Afrique subsaharienne (63).
Ce nouveau découpage se heurte, comme tout découpage, à des problèmes
de classification posés par la pluralité des identités spatiales.
Mais les auteurs prennent la précaution de le déclarer comme historiquement
situé et sujet à révision. Ils donnent ainsi l’exemple du Pakistan,
longtemps placé en Asie du Sud, identification qui convenait
à la majorité de ses habitants
[qu'en sait-elle?...],
mais qu’il faudrait aujourd’hui
classer dans l’ensemble composé de l’Asie du Sud-Ouest et de
l’Afrique du Nord pour tenir compte de son inclination croissante
pour les affaires du Moyen-Orient. Cependant, si c’est à la fois
la mondialisation et la nécessité de « provincialiser
l’Europe » (64) qui conduit Lewis et Wigen à préconiser un
saut au niveau scalaire inférieur, on peut se demander si leurs
régions du monde ne constituent pas encore des entités spatiales
trop vastes (...).
(...)
Sans dissoudre complètement les catégories continentales,
qui continuent à constituer un repère facile, au moins
en termes de nomenclature, les travaux critiques qui
se sont penchés sur les conditions de leur émergence et
les implicites de leur construction ont profondément remis
en question leurs usages ordinaires et souligné leur européocentrisme.
(...) Le monde globalisé appelle un croisement des points
de vue qui laisse entrevoir les prémisses d’une pensée
« postcontinentale » (...). La rapidité avec laquelle
se succèdent de nouveaux découpages traduit à la fois
la créativité des historiens et des géographes et la nécessité
de remettre constamment en chantier l’image d’un monde en mouvement.
NOTES
(...)
6 Roman édité à Paris en 2010 (chez Flammarion) et qui a
reçu le prix Goncourt la même année.
7 En préface du livre de Catherine Hofmann (dir.),
Artistes de la carte, de la Renaissance au
XXIe siècle, Paris, Autrement,2012, p. 5. Voir aussi Christian Jacob,
L’empire des cartes. Approche théorique de la cartographie
à travers l’histoire, Paris, Albin Michel, 1992.8
8 La surface de la Terre a, on le sait, enregistré des modifica-tions spectaculaires de la température de son atmosphère
et du niveau de ses mers au fil des temps géologiques :pour se limiter à la dernière centaine de millions d’an-
nées, il en reste, notamment, la connaissance d’une vaste
étendue marine appelée Mésogée, approximativementsur
l’emplacement de la Méditerranée et séparant deux grands
blocs continentaux. À partir de cette Mésogée, il
est possible de suivre la dynamique de la tectonique des
plaques – la fameuse « dérive des continents »
– jusqu’à la formation des tracés actuels où se distinguent la terre
et la mer, les continents et les océans.
((9))
10 Créé par Pierre de Coubertin en 1913, il flotte sur
les stades olympiques depuis les VIIe Jeux, réunis à Anvers
en 1920.
11 Voir dans ce dossier l’article de LI Hongtu,
« De “Sous-le-Ciel” (tianxia) à “Outre-océan” (yang):
l’évolution de la représentation du monde extérieur
chez les Chinois ».
12 Philippe Pelletier, L’Extrême-Orient, op. cit.,
2011, p. 97 (cf. note 3).
13 R. P. Martin (citation et traduction), « Manifeste impérial
à l’occasion de l’avènement de l’empereur Hirohito,
27 décembre 1926 »,
Bulletin des Missions étrangères de
Paris
, 1928, p. 332-333.
((14))
15 Claude Markovits rappelle l’étymologie probable,
akkadienne, de cette « asu », en note 2 de son article
dans le présent numéro.
16 Hérodote, Histoire, IV, 42, cité par les auteurs
Vincent Capdepuy, Christian Grataloup dans leur article
« Continents et océans : le pavage européen du globe ».
17 Paul Petit, Précis d’histoire ancienne, Paris, PUF, 1967
(3e éd.), carte XXI. Sur cette représentation principalement
administrative, l’Europe a par contre disparu, à la différence
de la Libye qui cohabite sur les rives sud de Mare nostrum
avec une plus récente Africa, à l’emplacement de l’actuelle
Tunisie.
18 Une compagnie française des Indes, sous ce nom, fut également
créée par Colbert en 1664, sans qu’aucun territoire lui soit
durablement attaché ; elle changea d’ailleurs de nom au XVIIIe siècle,
mais ne survécut pas à la Révolution française.
19 L’absence de démarcation nette entre Europe et Asie
à la lecture des cartes a posé, de manière plus aiguë que
pour les autres masses terrestres, un problème de délimitation.
Christian Grataloup fait de l’invention de l’Oural comme
frontière orientale de l’Europe par l’historien russe Tatichtchev
relayé par Diderot et l’Encyclopédie, un événement géographique
majeur : « Hourra l’Oural ! », in Christian Grataloup,
L’invention des continents, op. cit., p. 83-84. (cf. note 1).
20 Philippe Pelletier estime que cette dénomination est le
fait des deux géographes Elisée et Onésime Reclus dans un ouvrage
de 1902 sur L’Empire du Milieu. Voir Philippe
Pelletier,
L’Extrême-Orient, op. cit., p. 734 (cf. note 3).
21 Le Comité de l’Asie française, constitué autour d’Eugène
Etienne dans le périmètre du « parti colonial », publie à partir
de 1901 et jusqu’en 1940 le Bulletin de l’Asie française.
22 Pierre Gourou,
L’Asie, Paris, Classiques Hachette, 1971, p. 8.
23 Hugues Tertrais, « Entretien avec Pierre Gourou »,
Lettre de l’Afrase, n°29, 1993.
24 Eri Hotta, Pan-Asianism and Japan’s War, 1931-1945
(New York: Palgrave Macmillan, 2007), p. 226.
25 Hugues Tertrais, Asie du Sud-Est: enjeu régional ou enjeu mondial?,
Paris, Gallimard, 2002, p. 21-22.
26 World Bank Group, The East Asia Miracle: EconomicGrowth
and Public Policy (New York: Oxford University Press, 1993).
27 Discours du Premier ministre Tojo Hideki devant l’Assemblée
de la Grande Asie orientale, réunie à Tokyo, le 5 novembre 1943.
28 Shintaro Ishihara, Mahathir Mohamad, The Voice of Asia. Two Leaders
Discuss the Coming Century (Tokyo: Kodansha International, 1995).
29 La théorie des climats, exposée en particulier par Jean Bodin
et développée par Montesquieu, divisait la planète en grandes zones
selon la latitude. Elle trouve certes un prolongement dans le
néo-hippocratisme en vigueur chez les médecins et hygiénistes
jusqu’au milieu du XIXe siècle, mais celui-ci explore à des échelles
beaucoup plus fines l’influence des airs et des eaux sur la morbidité :
il constitue un schéma d’explication mésologique et non un modèle
spatial, comme l’était la théorie des climats.
30 Ronald Meek, Social Science and the Ignoble Savage
(Cambridge: Cambridge University Press, 1976). Meek décèle
l’émergence de cette anthropologie des stades
dans les écrits de Turgot, d’Adam Smith et de Condorcet.
Voir par exemple Condorcet, Esquisse d’un tableau historique
de l’esprit humain (1794-1795), Paris, Chez Agasse,
1794, qui comporte dix « époques ».
31 Claude Blanckaert, « 1800. Le moment “naturaliste” des sciences
de l’homme », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2000/3, p. 117-160.
32 Selon Claude Blanckaert, « le concept de “race” n’a pas vers 1800
l’acception restrictive, biologisante, qu’il aura ultérieurement
en anthropologie physique. Il dénote surtout une différence constante,
à la fois dans la constitution corporelle et la physionomie “morale” ».
Ce n’est qu’à la génération suivante, vers 1820,
que s’affirme la « science des races ». Voir Claude Blanckaert,
« 1800. Le moment“naturaliste” des sciences de l’homme »,
op. cit., p. 139 (cf. note 31).
33 L’identification du voyage dans l’espace à un voyage dans le temps,
proposée par Joseph-Marie de Gérando, tout à fait caractéristique
de ce nouveau paradigme, est rapidement devenue un topos : le contacta
vec les « peuples sauvages », « antiques et majestueux monuments de l’origine
des temps », placerait le voyageur philosophe « aux premières époques
de notre propre histoire ». Joseph-Marie de Gérando, Considérations
sur les diverses méthodes à suivre dans l’observation des peuples sauvages,
in Jean Copans, Jean Jamin (dir.), Aux origines de l’Anthropologie
française. Les mémoires de la Société des observateurs de l’homme en l’an VIII,
Paris, Le Sycomore, 1978 (1re éd. 1800), p. 127-169, citation p. 131-132.
34 Alfred Fierro,
La Société de géographie, 1821-1946,
Paris, Champion, 1983, annexe 3 : « Prix et récompenses pro-
posés par la Société de géographie entre 1822 et 1834 »,
p. 247-248.
15
35 Distribution primitive du genre humain à la surface
du globe, par Mr le Colonel Bory de St Vincent,
planisphère reproduit dans le cahier en couleur
de ce numéro, p. 2.
36 Bory de Saint-Vincent est polygéniste.
37 Gesellschaft für Erdkunde zu Berlin,
fondée en 1828. Lachaire de géographie créée à Berlin en 1820 est aussi la
première en Europe.
38 Carl Ritter, « Généralités sur les formes solides de l’écorce terrestre »,
Géographie générale comparée (Die Erdkunde, t. 1, Berlin, G. Reimer, 2e éd., 1822),
in Introduction à la géographie comparée, trad. Danielle Nicolas-Obadia,
introduction et notes de Georges Nicolas-Obadia, Paris,
Les Belles Lettres, 1974, p. 80-102 ; discours prononcé le
14 décembre 1826 à l’Académie royale des sciences de Berlin,
« De la position géographique et de l’extension des continents », in
Introduction à la géographie comparée, op. cit., p. 103-118.
39 Carl Ritter, « De l’organisation de l’espace à la surface
du globe et de son rôle dans le cours de l’histoire », in
Introduction à la géographie comparée, op. cit., p. 166-199
(cf. note 38). Le même ouvrage donne aussi la traduction d’Élisée Reclus,
publiée en 1859 sous le titre : « De la configuration des continents
sur la surface du globe et deleurs fonctions dans l’histoire »,
ibid., p. 221-241. Ce sontdes extraits de cette traduction que nous reproduisons en
encadré.
40 Voir encadré, p. 18.
41 Concernant l’intérieur de ces continents, Ritter semble
avoir peu tenu compte des descriptions proposées par
les récits d’exploration de son temps:
Dietmar Henze, «Afrika im Spiegel von Carl Ritters “Erdkunde” »,
in Karl Lenz (dir.), Carl Ritter, Geltung und Deutung,
Beiträge des Symposiums anlässlich der Wiederkehr des
200. Geburtstag von Carl Ritter, November 1979 in Berlin,
Berlin, Dietrich Reimer Verlag, 1981, p. 155-163.
42 James Rennell, Construction de la carte d’Afrique, 1790,
texte publié à l’appui de la carte des voyages de John Ledyard et Simon Lucas, in
Proceedings of the African Association (London, 1790),
traduction française in John Ledyard, Simon Lucas, Voyages en Afrique, Paris,
Xhrouet, 1804, p. 271-275.
43 Id. L’image de la peau de léopard est attestée chez Strabon
(Géographie, II, 5, 33) et dans La Périégèse de Denys d’Alexandrie,
à propos de la Libye.
44 Id.
45 Sur la diffusion et la réception de ce modèle,
voir Christophe Brun, « Configuration géographique “européenne”
et dynamique d’innovation : sur l’hypothèse d’un engendrement
mutuel depuis Strabon », in Vincent Jullien, Efthymios Nicolaïdis,
Michel Blay (dir.), Europe et sciences modernes.
Histoire d’un engendrement mutuel, Berne, Peter Lang, 2012,
p. 309-345, en particulier p. 318-321.
46 Voir Christophe Brun, ibid.,p. 323-329 ; « Une géohistoire de l’innovation »,
in David Cosandey, Le secret de l’Occident. Vers une théorie générale
du progrès scientifique, Paris, Flammarion, 2007 (1 reéd. 1997), p. 11-94.
47 Cette théorie, et le plan d’action qui en résulte, a été
exprimée une première fois dans la Revue de Paris
en 1896, puis dans un recueil d’articles, sous le titre
« Les résistances et la pénétration »: Gabriel Hanotaux,
Le partage de l’Afrique. Fachoda, Paris, Flammarion, 1909.
Elle est reprise de façon synthétique
in Gabriel Hanotaux, Le Général Mangin, Paris, Plon, 1925,
passim, appendiceII : « Le programme français de l’expansion civilisatrice en
Afrique», p. 92-95.
48 Gabriel Hanotaux,
Le partage de l’Afrique, op. cit.,
p. 19 (cf. note 47).
49 Gabriel Hanotaux, Le Général Mangin, op. cit., p. 18-19 (cf. note 47).
50 Isabelle Surun, « Sénégal et dépendances. Le territoire de la transition
impériale (1855-1895) », mémoire inédit d’habilitation à diriger des recherches,
Institut d’études politiques de Paris, 2012, p. 32-36.
51 “The set of spatial structures through which people order their knowledge
of the world: the often unconsciousframe-works that organize studies of history,
sociology, anthropo-logy, economics, political science, or even natural history”,
Martin Lewis, Kären Wigen, The Myth of Continents: A Critique of Metageography,
op. cit., p. ix (cf. note 1).
62 Martin Lewis, Kären Wigen, The Myth of Continents: A Critique of Metageography,
op. cit., p.194 (cf. note 1).
63 Ibid., p. 186.64 Dipesh Chakrabarthy, Provincialiser l’Europe. La pensée
postcoloniale et la différence historique, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 (1re
éd. 2000).
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