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Un article d'I. Surun sur l'évolution de la définition des continents, citant Le Secret de l'Occident (édition 2007) (cf p. 19-20). Article paru en mai 2013 dans la revue française de géographie en ligne Monde(s).
Dans cet article lourd d'a prioris idéologiques, I.Surun essaie de nous convaincre que les continents ne coïncident pas avec les grandes aires culturelles... ce que tout le monde sait depuis longtemps... et qu'il faut donc abandonner cette notion de continents... alors qu'elle garde tout son sens du point de vue de la géographie physique. Quelques passages intéressants du texte sont reproduits ci-dessous.
(Isabelle Surun, Hugues Tertrais: "Les Continents Orphelins?", Monde(s), no3, mai 2013, p. 7-27, ).


Copie de la version internet octobre 2014. Source.
Théorie du miracle européen

Cosandey








Les continents orphelins ?
Introduction


Isabelle Surun
Université Lille-Nord de France/CNRS IRHiS

Hugues Tertrais
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CNRS IRICE




(...)

Construction(s)

Nommer, comprendre, différencier... Notre connaissance du monde est bien sûr inséparable des représentations que nous en avons et en premier lieu des cartes. Celles-ci ne sont pas seulement les outils indispensables à tous les domaines de l’activité humaine, elles passionnent également. Michel Houellebecq, dans La carte et le territoire (6), suggère que, si elles rendent intelligible un territoire, elles lui donnent en effet aussi une esthétique propre. Pour Sylvain Tesson, autre habitué des prix littéraires, « La carte est le stade ultime de l’appropriation de la Terre par l’homme » (7). L’idée est séduisante.

(...) Les principaux termes qui désignent les parties du monde viennent de [la représentation de l'espace] fixée dans la Grèce antique, qui partageait l’écoumène en trois : Asia, « femme » ou « mère » de Prométhée dans la direction du Levant ; Europe, proche de Zeus, dans la direction du Couchant ; Libye, aimée par Poséidon, qui s’identifia à l’Afrique, septentrionale du moins. L’océan divinisé apparaît comme un fleuve entourant une terre composée de l’Europe, de l’Asie et de la Libye.
(...)

La carte a d’abord produit les continents par contraste. Les premières grandes navigations rendaient possible et obligeaient de cartographier les masses océaniques, plus précisément les repères nécessaires à l’activité maritime : longtemps incomplets, imparfaits aussi, les planisphères ainsi conçus faisaient surtout apparaître le [contour] des terres émergées : un mot d’origine latine suggérant un espace continu existait, « continent » ; des noms propres s’avéraient également disponibles depuis environ deux millénaires. L’Europe, l’Afrique et l’Asie connaissaient une nouvelle naissance. Les grandes navigations permirent à leurs acteurs de compléter la carte avec un Nouveau monde auquel fut donné un nom dérivé de celui du navigateur Amerigo Vespucci. Au-delà de la reconnaissance par les Britanniques de l’Australie – pour « austral » – au tournant du XIXe siècle, ce tropisme océanique donna finalement son nom à ce qui, étymologiquement, était tout sauf un continent : l’Océanie. [une analyse discutable: l'Océanie est aussi appelée l'Australie, elle est bel et bien centrée, comme les 5 autres continents, autour d'une masse terrestre principale] La représentation d’un monde partagé en cinq continents [erreur: il n'y a aucune raison de compter 5 continents. Du point de vue géographique, ils sont 6: AN, AS, Eurasie, Afrique, Océanie, Antarctique] s’est finalement détachée de la carte pour devenir une représentation symbolique à contenu universel : les cinq anneaux entrelacés du drapeau olympique, affiché très régulièrement depuis 1920, en forment la meilleure illustration (10).

(...) Avant que celle des cinq continents ne s’impose durablement, les représentations de l’espace ne se sont pas construites partout de manière identique. Dans la culture chinoise, rappelle Li Hongtu dans son article, le monde est traditionnellement ce qui est « sous-le-ciel » (11) et ce que nous appelons la Chine – dans la langue zhongguo, le pays du Milieu – en occupe l’espace. Il est également situé entre « quatre mers » (12), selon une représentation toujours prégnante, en particulier au Japon : dans le Manifeste publié en 1926 à Tokyo à l’occasion de son accession au trône impérial, Hirohito évoque notamment les « frères des quatre mers », pour souhaiter que l’amitié subsiste avec eux (13). (...)



La preuve par l’Asie

Le mot Asie serait apparu au premier millénaire avant notre ère en Mésopotamie, désignant semble-t-il la direction du Levant, et figure depuis sur toutes les représentations de l’espace venues du Proche-Orient ancien (15). Les Grecs répartissaient, on le sait, l’écoumène en trois espaces, la Libye, l’Asie et l’Europe, l’Asie représentant l’Orient : au Ve siècle avant notre ère, Hérodote s’en étonnait lui-même (16). Presque mille ans plus tard, une carte figurant l’administration territoriale du Bas-Empire romain montre toujours une Asia sur l’emplacement de l’actuelle Turquie occidentale, sur la rive orientale de la mer Egée (17). Un millénaire et demi plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, quiconque traverse le Bosphore à Istamboul passe toujours sur sa rive asiatique.

L’usage du mot, en quelque sorte déterritorialisé [??], se fait discret pendant plusieurs siècles, alors que se dessinent les premiers planisphères – notre âge « moderne » lui préfère souvent le mot Inde pour désigner l’espace oriental que commençaient à sillonner les navigateurs et marchands portugais, hollandais, français et anglais. Claude Markovits explique notamment dans son article comment l’Estado da India portugais structura symboliquement autour de la vice-royauté de Goa une vaste étendue maritime allant du Mozambique à Timor. Certains chroniqueurs continuent d’utiliser le mot Asia, mais les Britanniques reprennent le terme Inde quand leur propre compagnie commerciale, l’East India Company, s’implante dans la région, trace ses routes de l’Atlantique sud à la mer de Chine et constitue, à la fin du XVIIIe siècle, un quasi-État au Bengale, le Company Raj. Ce que nous regroupons aujourd’hui dans « l’Asie méridionale » en porte alors la marque : Indian Burma, Indian Malaya... Entre-temps, les Hollandais s’étaient établis aux Indes néerlandaises avec leur propre Compagnie des Indes orientales (VOC) (18).

Claude Markovits constate au XVIIIe siècle la réapparition du mot Asie [initiée] par la Russie, ses explorations et ses géographes, qui s’attachent notamment à en définir une frontière occidentale, que les planisphères ne permettaient pas d’établir (19): s’étendant largement sur l’« Eurasie », dont l’Europe est détachée par les promoteurs des cinq continents, il importait sans doute à la Russie de ne pas être confondue avec cette Asie improbable et peut-être arriérée. Le mot Asie – ou l’idée – aurait-il lui aussi migré des rives méditerranéennes vers les plaines russes, où Moscou s’autodésigne « troisième Rome » après la chute de Constantinople en 1453 ? (...) L’« Extrême-Orient » (...) apparaît avec le XXe siècle (...) et regroupe les mondes indiens et sinisés (20). Pour autant, le mot [Asie] n’a pas disparu : dans le même temps, un Comité de l’Asie française se constitue à Paris pour y promouvoir les intérêts français (21).

Existe-t-il aujourd’hui une définition de l’Asie ? Dans un ouvrage académique sur le sujet, paru en 1971 et faisant sans doute suite à une commande éditoriale, le géographe Pierre Gourou considère l’ensemble des territoires compris entre Méditerranée et Pacifique, à l’exclusion de la Sibérie soviétique – mais la « Sixième partie : l’Asie occidentale », que nous appellerions plutôt aujourd’hui Proche-Orient, n’est pas la plus fournie. Le livre regroupe l’Asie centrale avec la Chine et la Corée, n’en retenant pas les républiques éponymes alors soviétiques, et consacre une partie distincte au Japon. Mais il a en quelque sorte déconstruit lui-même l’objet de l’ouvrage en introduction. Après en avoir discuté les limites et vainement cherché ce qu’« Asiatiques » pourrait [vouloir] dire, il ne trouve qu’un seul trait commun entre eux : il est « incontestable, c’est la continentalité » climatique ; mais pour ajouter presque aussitôt : « Il n’y a pas d’humanité “asiatique” » (22). En fait, déclara-t-il dans un autre cadre, « l’Asie n’existe pas » (23). [cela va de soi, si on cherche une signification culturelle derrière ce mot... c'est enfoncer une porte ouverte]

L’usage du mot Asie, importé dans toutes les langues des pays qu’il recouvre, en illustre les limites : même si le mot y apparaît de plus en plus intériorisé, les populations concernées ne se considèrent pas, ou alors très secondairement, comme « asiatiques », [évidemment, puisque c'est une notion géographique, et non culturelle... mais qu'en sait-elle, au juste, a-t-elle interrogé 3 milliards de personnes?] au sens où les Occidentaux l’entendent, mais simplement, par exemple, chinoises ou indonésiennes. Mais le mot effectue au XXe siècle un « retour » spectaculaire, notamment du fait de son instrumentalisation et après un passage par l’archipel nippon.

L’ambivalence du mot Asie apparaît en effet particulièrement nette au Japon. Depuis [l'ère] Meiji et la fin du XIXe siècle, les Japonais ne se sentent pas « asiatiques » : leur pays s’est hissé au-dessus d’une Asie synonyme de foules pauvres et paysannes et, de ce point de vue, ils se sentiraient plutôt occidentaux ; [à nouveau, I.Surun confond entre définition culturelle des habitants de l'Asie et définition géographique... le sentiment que l'on a ne change rien au lieu où l'on habite. Même si les Japonais ne se sentent pas voie-lactéiens, ils le sont bel et bien, tous...] en même temps, ils sont les seuls à avoir cherché à construire une Grande Asie à la faveur de la Seconde Guerre mondiale, alliant prospérité et libération – de l’Occident. La Japonaise Eri Hotta a montré, à propos de cette « guerre de Quinze ans » et de la « Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale », les différents niveaux, intérieurs et internationaux, de l’instrumentalisation de l’idée asiatique dans la période – le Panasiatisme (24).

Dans la continuité de ces épisodes, le mot Asie est précisément repris sur un mode stratégique par les Britanniques, qualifiant le théâtre de leur reconquête sur le Japon en 1945 d’« Asie du Sud-Est ». L’idée de cette dernière, restée longtemps imprécise, est couramment utilisée depuis, quoique– comme l’Asie elle-même – dans un périmètre variable en fonction des référents considérés : l’Asie du Sud-Est synonyme de sous-développement trace dans les années 1960 une diagonale de pauvreté dans l’Asie méridionale, intégrant même le Pakistan ; l’Asie du Sud-Est synonyme de décollage, après le tournant des années 1970, a les traits d’un axe longeant le littoral pacifique du continent, parfois Japon compris (25).

L’instrumentalisation de l’idée asiatique a trouvé un écho particulier dans les années 1990, précisément celles du « miracle » asiatique (26), dont plusieurs leaders politiques de la région ont tenté de s’approprier la paternité : le temps était venu des « valeurs asiatiques », essentiellement faites d’autorité, de tradition, et censées expliquer les performances économiques du moment. Un peu comme le général Tojo avait affiché en 1943, « l’unité culturelle » de la « Grande Asie orientale » (27), dont la démonstration serait difficile à faire. [Deux] dirigeants aussi différents l’un de l’autre que l’étaient le Premier ministre malaisien de l’époque, Mahathir Mohamad, et le parlementaire nationaliste japonais Ishihara, s’en font les chantres en 1995 en publiant The Voice of Asia (28).

Les modalités de la construction régionale structurent également l’idée d’Asie, en même temps qu’elles en brouillent le périmètre. Le sport a été mobilisé, avec les Asian Games et, plus récemment, les South East Asian Games. Mais une construction plus institutionnelle s’est développée depuis les années 1960, renforçant mécaniquement l’idée d’Asie : [toujours cette confusion d'I.Surun entre la culture et la géographie...] dans un contexte un peu équivalent à celui de l’Europe, mais avec beaucoup moins d’ambitions, la déclaration de Bangkok fonda en 1967 l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), dix ans après les traités de Rome ; elle trouva sa justification de containment dans les développements géopolitiques de la région, notamment le basculement dans le communisme, en 1975, des trois pays indochinois. Depuis la fin du face-à-face Est-Ouest en 1990, les tentatives de regroupement régional rassemblent les énergies sans qu’aucune ne débouche sur la mise sur pied d’une organisation comparable, en plus vaste.

Comment définir l’Asie dans les évolutions actuelles ? [comme toujours! les "conditions actuelles" ne changent rien à la géographie...] Le rêve d’une Union asiatique a encore été formulé au Japon en 2009, après qu’un sommet du même nom en eut réuni les acteurs quatre ans plus tôt à Kuala Lumpur. Mais la répartition de ceux-ci pose à nouveau la question de l’identité « asiatique » : alors qu’une conception malaisienne – celle de Mahathir – dessinait une Asie au sens presque européen du terme, incluant éventuellement l’Inde, le Japon et les États-Unis y ajoutaient... l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’approche des réalités mondiales par les statistiques internationales contribue à mettre à mal le cadre des continents [dans la perception du grand public...], s’agissant particulièrement de l’Asie : les rapprochements régionaux aux limites incertaines le disputent aux regroupements par niveaux de développement, sans toujours de cohérence géographique. (...)

(...)


Hiérarchisations : continents et races humaines

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la diversité des sociétés humaines observée par les voyageurs à la surface de la terre reçoit une nouvelle interprétation qui rompt avec le déterminisme climatique en vigueur depuis la Renaissance (29). Émerge alors un modèle téléologique de l’histoire de l’humanité, que Ronald Meek a formalisé sous le nom de « théorie des stades », théorie selon laquelle les sociétés humaines peuvent être situées sur un gradient ascendant qui va du primitif au civilisé, en fonction de leur mode de production : chasseurs-cueilleurs, pasteurs, agriculteurs, puis stade « moderne » caractérisé par le commerce et l’industrie (30). Or ce modèle anthropologique appuyé sur des critères économiques et sociaux vient s’arrimer, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, « moment naturaliste » de l’anthropologie (31), au projet de faire de l’homme un objet d’étude indissociablement moral et physique, qui produit un autre modèle (...), la classification des races humaines (32). Ainsi, associant l’histoire naturelle de l’homme et son histoire civile, une théorie historique permettant de rendre compte de l’évolution de l’humanité et un modèle taxinomique qui en classe les types physiques trouvent une expression spatiale en projetant leurs objets communs sur la mappemonde, dont les contours achèvent de se mettre en place avec les dernières grandes explorations maritimes. Les terres découvertes, cartographiées, nommées, sont aussi l’habitat de peuples (...) caractérisés par un état social et un type physique. Les limites et l’origine des peuplements posent alors aux savants des questions nouvelles, à la croisée du temps et de l’espace (33): la Société de géographie de Paris, fondée en 1821, propose ainsi en 1824 un prix pour une étude portant sur l’origine des peuples d’Océanie (34). [On vise] à la fois à reconstituer une histoire planétaire de l’humanité et à situer chaque peuple, identifié à une race, sur le curseur de l’évolution humaine.

Le planisphère publié par Bory de Saint-Vincent en 1827 (35), analysé par Christophe Brun dans ce dossier, illustre bien ce type de démarche : le naturaliste identifie des berceaux distincts de l’humanité (36), définis par l’histoire géologique de la planète [qu'il imagine] caractérisée par l’émergence progressive de masses terrestres, concomitante à l’abaissement du niveau des océans. Bory entreprend de donner couleur humaine au planisphère en couvrant les terres émergées d’aplats aquarellés plus ou moins continus. Cependant, la distinction entre les masses continentales ne s’y superpose pas exactement à la distribution des « espèces » humaines, dont plusieurs sont transcontinentales [ouf! I.Surun a enfin compris qu'il faut distinguer entre les continents, une catégorie géographique, et leurs habitants humains...]. La classification du genre humain comporte une hiérarchie explicite, mais elle ne relève pas d’un déterminisme climatique. C’est « l’état social », associé à la caractérisation d’un « potentiel physiologique », qui devient le nouveau critère de hiérarchisation, annonçant un racialisme à la fois physiologique et civilisationnel. Par simplifications successives, les planisphères publiés dans les manuels scolaires ou les atlas destinés au grand public à la fin du XIXe siècle identifient à chaque continent le berceau d’une race humaine (...).



Modélisations : masses continentales et articulations littorales

L’état social des populations d’un continent donné trouve une autre explication sous la plume du géographe allemand Carl Ritter (1779-1859), titulaire de la première chaire de géographie à l’université de Berlin à partir de 1820, et fondateur la Société de géographie de Berlin, qu’il dirige (37). Ritter procède à un examen des possibilités qu’offrent les différents continents au développement humain en les comparant au regard de leurs dimensions et de leurs formes. De cette démarche comparative fondée sur la lecture de cartes résulte un système de classification qui repose sur une analyse morphologique : ce sont d’abord les liens maritimes ou terrestres entre continents, mais aussi le rapport entre le développement littoral et la surface totale de chaque continent – c’est-à-dire le degré de leur « articulation » –, qui expliquent la plus ou moins grande insertion des espaces dans le mouvement historique mondial, source de progrès ; c’est ensuite la diversité interne des formes du relief et des milieux naturels qui permet d’évaluer les possibilités d’échanges entre espaces complémentaires à l’intérieur d’un continent. Ritter expose ces vues dès les années 1820 (38), puis de façon plus systématique dans une conférence donnée à l’académie royale des Sciences de Berlin le 1er avril 1850, dont nous reproduisons des extraits en encadré (39). Selon cette grille de lecture, certaines « formes telluriques » sont plus ou moins propices au progrès des peuples qui les habitent. Ainsi, l’Afrique, continent massif et dépourvu aussi bien d’articulations externes que de variété intérieure, et l’Océanie, découpée jusqu’au morcellement, constituent deux extrêmes peu favorables aux échanges et au développement de civilisations. L’Asie se divise entre une partie massive au nord et au centre, faisant barrière aux influences extérieures, et de vastes péninsules au sud, foyers de civilisations. Seule l’Europe, bien articulée et harmonieusement différenciée, connaît « toutes les perfections possibles à l’espace », « causes de sa prépondérance sur le monde » (40).

Le modèle est européocentrique et cède à l’idéal du juste milieu, tout comme le déterminisme climatique d’un Jean Bodin, pour lequel seul le climat tempéré pouvait favoriser la tempérance des mœurs et l’esprit d’entreprise, tandis que les peuples septentrionaux, de tempérament sanguin, se montraient belliqueux, et que les peuples méridionaux étaient voués à la contemplation... Mais le modèle rittérien relève d’un déterminisme spatial, dans lequel les formes, les dimensions et les discontinuités l’emportent sur la relation homme-milieu [??]. De plus, tandis que Bodin déclinait son modèle climatique sur les peuples européens placés à des latitudes différentes, Ritter érige le continent en entité morphologique organique et en fait l’unité classificatoire pertinente, sans pour autant s’interdire de recourir à des échelles plus fines. Sa lecture des formes repose sur un effet de source : il est tributaire des cartes disponibles dans la première moitié du XIXe siècle, période de transition, où l’achèvement des grandes circumnavigations a conféré aux contours des continents une visibilité d’autant plus grande que leur intérieur constitue encore un grand vide cartographique. En 1850, l’exploration de l’intérieur de l’Afrique, de l’Australie, voire de l’Asie centrale, ne faisait que commencer. Comment Ritter pouvait-il alors se prononcer sur leurs caractéristiques topographiques et leur différenciation interne ? Il s’agit là d’une modélisation de cabinet qui cède à l’illusion cartographique plutôt qu’elle ne met en ordre un savoir empirique nouveau (41). [enfin un début de réflexion de la part de I.Surun, mais qui ne la mène pas bien loin: C.Ritter connaissait déjà très bien le profil littoral de l'Asie et de l'Afrique, objet principal de ses réflexions.].





CARL RITTER
« De la configuration des continents sur la surface du globe et de leurs fonctions dans l’histoire »

Discours à l’académie royale des Sciences de Berlin, le 1er avril 1850.
Traduction d’Élisée Reclus, 1859, in Carl Ritter, Introduction à la géographie comparée,
édité par Danielle et Georges Nicolas-Obadia, Paris, Les Belles Lettres, 1974, p. 234-238.


Nous ne saurions refuser aux diverses formes de l’écorce planétaire une tendance au progrès, au développement de leur organisme, pourvu toutefois que l’histoire s’harmonise avec la nature. Tâchons maintenant de distinguer dans cette ordonnance extérieure des parties du monde comment chacune développe ou arrête le progrès, et indiquons en passant le caractère saillant de leur influence sur le monde. [...] Qu’il nous suffise de rappeler que les formes différentes des trois parties de l’ancien continent, l’ovale de l’Afrique, le rhomboèdre de l’Asie et le triangle de l’Europe, impliquent aussi trois rapports différents entre leurs dimensions. À l’Afrique, si compacte, qui compte autant de degrés de longitude que de latitude, s’oppose l’Europe, qui, sur une longueur double ou triple de sa largeur, présente à l’Océan Atlantique la pointe d’un triangle dont la base repose sur l’Asie. L’Afrique est un tronc massif et régulier, sans articulation aucune. L’Asie, avec un corps aussi puissant, mais non aussi régulièrement développé que celui de l’Afrique, est douée de fortes et riches articulations au sud et à l’orient.

Quant à l’Europe, sa masse ouverte de tous les côtés est articulée au sud, à l’ouest et au nord, et à son intérieur, de nombreux rameaux dont la richesse naturelle supérieure à celle de leur tronc commun devait assurer à cette partie du monde la prépondérance civilisatrice. L’Asie n’est pas comme l’Europe ouverte à l’Océan dans toutes les directions, et le milieu de ce continent est resté fermé aux entailles maritimes qui, si avant qu’elles aient pénétré, n’ont pas pu, comme en Europe, y harmoniser les contrastes de mers et de pentes opposées. Ainsi l’immense Asie centrale, analogue en cela à la massive et compacte Afrique, n’a pas pu participer aux inappréciables avantages que lui auraient donnés les articulations prolongées des côtes. [...]

Bien que certaines de ses articulations approchent en grandeur de la moitié de l’Europe, leur ensemble le cède beaucoup en surface à celle du tronc compact dont la masse a servi de barrière aux civilisations qui grandissaient à ses extrémités, mais restaient dans l’isolement. Aussi le milieu du tronc asiatique est resté patrie monotone des peuples nomades ; tandis que dans les péninsules si richement favorisées de la nature, la Chine, les deux Indes [probablement l'Inde et l'Indochine], l’Arabie, l’Asie Mineure et autres pays moins vastes, se développaient des civilisations individuelles, incapables encore de pénétrer jusqu’au centre de l’Asie.

Aucun accident [dans les] contours de l’Afrique, qui offre un développement de côtes moindre que toute autre partie du monde ; cette disposition éloigne le plus possible l’intérieur des terres du contact vivifiant de l’Océan. Toute individualité de pays ou de nation a été ainsi refusée à cette masse uniforme dont toutes les extrémités également distantes du centre sont soumises à peu près à la même chaleur tropicale. L’Afrique [...] est malheureusement restée partout identique à elle-même, et n’a pu être vivifiée par aucune variété ni par aucun contraste. Aussi le patriarcat s’y est conservé sans contact avec les progrès de l’histoire, et des siècles semblent s’interposer entre l’Afrique et son avenir encore mystérieux. [...]

L’Asie nous offre un tout autre spectacle par le développement riche, bien que partiel, de ses côtes et de ses articulations fortement individualisées. Chacune d’elles, séparées des autres par une ligne de démarcation, et rapprochée en même temps par les relations maritimes, a reçu de la nature une dot différente en plaines et montagnes, en cours d’eau, en souffles de vents, en produits divers. Leurs peuples se caractérisent également par des individualités saillantes, et de vifs contrastes distinguent le Chinois et le Malais, l’Hindou, le Persan, l’Arabe et l’habitant de l’Asie Mineure. [...]

Le morcellement de l’écorce planétaire dans la Polynésie et la formation compacte de l’Afrique sont deux extrêmes qui agissent d’une manière opposée sur la nature et sur les peuples, mais qui tous deux exercent une influence funeste et ralentissent le progrès de leurs habitants. Sur la surface la plus déchirée, les Malais du groupe de la Sonde sont plus qu’aucun autre peuple divisés en tribus ennemies ; dans la masse la plus compacte, les peuplades serrées de nègres sont uniformément barbares dans leur uniforme pays. Ce sont là des formes telluriques relativement défavorables pour le dégrossissement des peuples encore sauvages. Entre ces deux extrêmes se trouve l’Europe, non pour ralentir, mais pour accélérer le mouvement. Par suite de sa surface moins étendue et plus facile à embrasser du regard, par suite du développement de ses côtes, de ses articulations, de son système insulaire, elle a rempli toutes les perfections possibles à l’espace, et a pu réaliser plus tôt que les autres sa destination planétaire. [...] Dans la faible superficie de l’Europe, et dans l’harmonie si peu remarquée de ses formes, nous devinons les causes de sa prépondérance sur le monde, celles de sa grandeur et de sa liberté.






Cependant, le savant allemand [n'était pas le premier dans ses observations]. Ainsi, l’idée d’une exceptionnalité géographique du continent africain est attestée chez James Rennell, cartographe attitré de l’African Association, fondée en 1788 à Londres pour promouvoir l’exploration de ce continent, si proche et si inconnu. Dans un mémoire publié en 1790, Rennell considère l’Afrique, « formé[e], par le Créateur, avec un contour et une surface totalement différents de ceux des autres parties du monde », comme dépourvue de tous les dispositifs hydrographiques qui favorisent la circulation des hommes et des marchandises à l’intérieur des autres continents :

« Elle n’a point de mers intérieures telles que la Méditerranée, la Baltique ou la Baie d’Hudson ; elle ne renferme aucun lac de la grandeur de ceux de l’Amérique septentrionale ; on ne lui connaît point, comme aux autres continents, des rivières qui coulent du centre aux extrémités. [...] Parmi le petit nombre des rivières connues, quelques-unes, au lieu de porter leurs eaux tributaires à l’Océan, se terminent par absorption ou évaporation ; on est fondé du moins à le penser, en n’apercevant aucune trace de leur jonction avec la mer, ou avec quelque grand fleuve » (42).

L’incertitude qui a conduit les cartographes, depuis d’Anville, à ne pas représenter sur les cartes d’Afrique les segments du réseau hydrographique non attestés (...), devient pour Rennell la certitude d’une absence géographique. De la même façon, la surface du continent tout entier est décrite comme un espace vide, parsemé çà et là de points d’habitation isolés, image du désert sur les cartes, mais aussi réactivation d’une métaphore en vigueur dans la géographie de Strabon : « Quoique les Anciens eussent peu de documens sur l’intérieur de l’Afrique, ils s’étoient fait cependant une assez juste idée de sa surface ; car l’un d’eux la comparoit à une peau de léopard » (43)

La discontinuité supposée de l’habitat, étendue par métonymie de la Libye des Anciens à tout le continent, vient à l’appui d’une explication « du peu de progrès de ce pays vers la civilisation » (44) par l’isolement dans lequel seraient cantonnées ses populations.

La « théorie des articulations littorales » connaît une diffusion assez large dans la seconde moitié du XIXe siècle, par l’intermédiaire d’Élisée Reclus en France et d’Ellen Semple aux États-Unis, et devient un lieu commun des ouvrages de vulgarisation et de la géographie scolaire (45). Scientifiquement déconsidérée comme explication de la singularité européenne lorsque l’Europe voit sa puissance décliner après la Première Guerre mondiale, elle a été récemment remise à l’honneur par David Cosandey, comme un facteur causal parmi d’autres, au sein d’un grand récit du progrès scientifique (46).

(...) le modèle élaboré par Ritter (...) prenait aussi en considération la configuration topo-hydrographique de l’intérieur des continents, examinant, à la manière de Rennell, les effets des reliefs sur la production de contrastes et ceux des cours d’eau sur la circulation et la mise en relation d’ensembles différenciés. [De façon amusante], à la fin du XIXe siècle, cette grille de lecture des continents [se voit] mobilisée dans le cadre du projet colonial. [Elle] devient le support d’un « plan général d’action » qui vise [en construisant voies ferrées et canaux à compenser un peu] la géographie des continents défectueux. Ainsi, Gabriel Hanotaux, ministre des Affaires étrangères presque sans interruption de 1894 à 1898 et ardent propagandiste de la politique coloniale de la France, élabore-t-il, pour effacer les « résistances » de l’Afrique à la pénétration coloniale, une « théorie de l’assiette renversée » qui doit beaucoup au cadre interprétatif rittérien (47) : non seulement l’Afrique, caractérisée par « sa masse, sa lourdeur », qui « la rendent manifestement impénétrable », présente un faible développement littoral, mais les cours d’eau ne peuvent y jouer le rôle facilitateur qu’ils ont ailleurs, en raison de l’importante dénivellation qu’on y rencontre à proximité de l’Océan, entre une région côtière et un plateau intérieur, et qui arrête la navigation par une série de rapides: « En Afrique, les fleuves ne viennent pas en aide à la civilisation ; ils l’entravent » (48). Il convenait donc de remédier à cette situation :

« Le continent africain est comparable à une assiette renversée ; un bourrelet de hauteurs entoure, à proximité des bords de la mer, un plateau intérieur isolé. C’est cette conformation qui a retardé la civilisation de cette partie du vieux continent, les embouchures des fleuves n’ayant pas, sauf dans la région du Nil, d’accès véritable vers l’intérieur.
Maintenant, observait-on, le problème pouvait être résolu par l’application des découvertes modernes ; et la solution consisterait : 1. à articuler le plateau intérieur avec la côte, par un système de voies ferrées franchissant le bourrelet et les cascades pour assurer des débouchés vers la mer ; 2. à relier entre eux les grands fleuves qui arrosent le plateau intérieur » (49).


Il s’agissait d’enserrer l’Afrique dans un corset ferré greffé sur son orographie et sur son hydrographie, de façon à rétablir les liaisons manquantes (50).

(...)



Dissolutions et dépassements
Nouveaux découpages, nouvelles échelles


Tout en reconnaissant le caractère éminemment relatif des métagéographies qui ont présidé à l’émergence des catégories continentales, Lewis et Wigen se refusent à abandonner toute tentative de découpage de la surface de la terre [en grandes zones culturelles]. Ils proposent dans la conclusion de leur ouvrage une série de principes auxquels devrait obéir une classification non hiérarchisée des espaces mondiaux. Ils prônent l’abandon de tout ethnocentrisme [européen] dans la définition des limites, des critères de découpage, comme dans la nomenclature, mettent en garde contre la tentation de généraliser quelques caractéristiques locales à tout un ensemble spatial, et rappellent l’exigence de comparer des entités spatiales comparables par la taille, le poids démographique [cela paraît idiot: on ne peut pas exiger a priori que toutes les aires culturelles aient la même population...] et la cohérence interne. Ainsi, la comparaison entre un « Occident » resserré et historiquement cohérent et un « Orient » vaste et hétérogène, tout comme l’habitude qui a longtemps prévalu de considérer la péninsule européenne comme un « continent » au même titre que l’Asie et de rétrograder la Chine et l’Inde au rang de « sous-continents », leur semblent des exemples typiques d’erreurs épistémologiques condamnables (62). La lutte contre l’européo-centrisme passe ainsi par une salutaire provincialisation de l’Europe. [un fatiguant pléonasme]

C’est finalement à l’échelle infracontinentale qu’ils identifient de grandes « régions du monde » qui peuvent être considérées comme des aires culturelles. La carte qui en résulte en reconnaît quatorze : Amérique du Nord ; Amérique ibérique (excluant le Brésil) ; Amérique africaine (incluant le Brésil) ; Europe centrale et occidentale (sans les Balkans) ; Russie-Europe du Sud-Ouest et Caucase ; Asie centrale ; Asie orientale ; Asie du Sud (péninsule indienne) ; Asie du Sud-Est ; Micronésie et Polynésie ; Mélanésie ; Australie et Nouvelle Zélande ; Asie du Sud-ouest (Proche et Moyen-Orient) et Afrique du nord ; Afrique subsaharienne (63). Ce nouveau découpage se heurte, comme tout découpage, à des problèmes de classification posés par la pluralité des identités spatiales. Mais les auteurs prennent la précaution de le déclarer comme historiquement situé et sujet à révision. Ils donnent ainsi l’exemple du Pakistan, longtemps placé en Asie du Sud, identification qui convenait à la majorité de ses habitants [qu'en sait-elle?...], mais qu’il faudrait aujourd’hui classer dans l’ensemble composé de l’Asie du Sud-Ouest et de l’Afrique du Nord pour tenir compte de son inclination croissante pour les affaires du Moyen-Orient. Cependant, si c’est à la fois la mondialisation et la nécessité de « provincialiser l’Europe » (64) qui conduit Lewis et Wigen à préconiser un saut au niveau scalaire inférieur, on peut se demander si leurs régions du monde ne constituent pas encore des entités spatiales trop vastes (...).

(...)

Sans dissoudre complètement les catégories continentales, qui continuent à constituer un repère facile, au moins en termes de nomenclature, les travaux critiques qui se sont penchés sur les conditions de leur émergence et les implicites de leur construction ont profondément remis en question leurs usages ordinaires et souligné leur européocentrisme. (...) Le monde globalisé appelle un croisement des points de vue qui laisse entrevoir les prémisses d’une pensée « postcontinentale » (...). La rapidité avec laquelle se succèdent de nouveaux découpages traduit à la fois la créativité des historiens et des géographes et la nécessité de remettre constamment en chantier l’image d’un monde en mouvement.



NOTES

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6 Roman édité à Paris en 2010 (chez Flammarion) et qui a reçu le prix Goncourt la même année.

7 En préface du livre de Catherine Hofmann (dir.), Artistes de la carte, de la Renaissance au XXIe siècle, Paris, Autrement,2012, p. 5. Voir aussi Christian Jacob, L’empire des cartes. Approche théorique de la cartographie à travers l’histoire, Paris, Albin Michel, 1992.8

8 La surface de la Terre a, on le sait, enregistré des modifica-tions spectaculaires de la température de son atmosphère et du niveau de ses mers au fil des temps géologiques :pour se limiter à la dernière centaine de millions d’an- nées, il en reste, notamment, la connaissance d’une vaste étendue marine appelée Mésogée, approximativementsur l’emplacement de la Méditerranée et séparant deux grands blocs continentaux. À partir de cette Mésogée, il est possible de suivre la dynamique de la tectonique des plaques – la fameuse « dérive des continents » – jusqu’à la formation des tracés actuels où se distinguent la terre et la mer, les continents et les océans.

((9))

10 Créé par Pierre de Coubertin en 1913, il flotte sur les stades olympiques depuis les VIIe Jeux, réunis à Anvers en 1920.

11 Voir dans ce dossier l’article de LI Hongtu, « De “Sous-le-Ciel” (tianxia) à “Outre-océan” (yang): l’évolution de la représentation du monde extérieur chez les Chinois ».

12 Philippe Pelletier, L’Extrême-Orient, op. cit., 2011, p. 97 (cf. note 3).

13 R. P. Martin (citation et traduction), « Manifeste impérial à l’occasion de l’avènement de l’empereur Hirohito, 27 décembre 1926 », Bulletin des Missions étrangères de Paris , 1928, p. 332-333.

((14))

15 Claude Markovits rappelle l’étymologie probable, akkadienne, de cette « asu », en note 2 de son article dans le présent numéro.

16 Hérodote, Histoire, IV, 42, cité par les auteurs Vincent Capdepuy, Christian Grataloup dans leur article « Continents et océans : le pavage européen du globe ».

17 Paul Petit, Précis d’histoire ancienne, Paris, PUF, 1967 (3e éd.), carte XXI. Sur cette représentation principalement administrative, l’Europe a par contre disparu, à la différence de la Libye qui cohabite sur les rives sud de Mare nostrum avec une plus récente Africa, à l’emplacement de l’actuelle Tunisie.

18 Une compagnie française des Indes, sous ce nom, fut également créée par Colbert en 1664, sans qu’aucun territoire lui soit durablement attaché ; elle changea d’ailleurs de nom au XVIIIe siècle, mais ne survécut pas à la Révolution française.

19 L’absence de démarcation nette entre Europe et Asie à la lecture des cartes a posé, de manière plus aiguë que pour les autres masses terrestres, un problème de délimitation. Christian Grataloup fait de l’invention de l’Oural comme frontière orientale de l’Europe par l’historien russe Tatichtchev relayé par Diderot et l’Encyclopédie, un événement géographique majeur : « Hourra l’Oural ! », in Christian Grataloup, L’invention des continents, op. cit., p. 83-84. (cf. note 1).

20 Philippe Pelletier estime que cette dénomination est le fait des deux géographes Elisée et Onésime Reclus dans un ouvrage de 1902 sur L’Empire du Milieu. Voir Philippe Pelletier, L’Extrême-Orient, op. cit., p. 734 (cf. note 3).

21 Le Comité de l’Asie française, constitué autour d’Eugène Etienne dans le périmètre du « parti colonial », publie à partir de 1901 et jusqu’en 1940 le Bulletin de l’Asie française.

22 Pierre Gourou, L’Asie, Paris, Classiques Hachette, 1971, p. 8.

23 Hugues Tertrais, « Entretien avec Pierre Gourou », Lettre de l’Afrase, n°29, 1993.

24 Eri Hotta, Pan-Asianism and Japan’s War, 1931-1945 (New York: Palgrave Macmillan, 2007), p. 226.

25 Hugues Tertrais, Asie du Sud-Est: enjeu régional ou enjeu mondial?, Paris, Gallimard, 2002, p. 21-22.

26 World Bank Group, The East Asia Miracle: EconomicGrowth and Public Policy (New York: Oxford University Press, 1993).

27 Discours du Premier ministre Tojo Hideki devant l’Assemblée de la Grande Asie orientale, réunie à Tokyo, le 5 novembre 1943.

28 Shintaro Ishihara, Mahathir Mohamad, The Voice of Asia. Two Leaders Discuss the Coming Century (Tokyo: Kodansha International, 1995).

29 La théorie des climats, exposée en particulier par Jean Bodin et développée par Montesquieu, divisait la planète en grandes zones selon la latitude. Elle trouve certes un prolongement dans le néo-hippocratisme en vigueur chez les médecins et hygiénistes jusqu’au milieu du XIXe siècle, mais celui-ci explore à des échelles beaucoup plus fines l’influence des airs et des eaux sur la morbidité : il constitue un schéma d’explication mésologique et non un modèle spatial, comme l’était la théorie des climats.

30 Ronald Meek, Social Science and the Ignoble Savage (Cambridge: Cambridge University Press, 1976). Meek décèle l’émergence de cette anthropologie des stades dans les écrits de Turgot, d’Adam Smith et de Condorcet. Voir par exemple Condorcet, Esquisse d’un tableau historique de l’esprit humain (1794-1795), Paris, Chez Agasse, 1794, qui comporte dix « époques ».

31 Claude Blanckaert, « 1800. Le moment “naturaliste” des sciences de l’homme », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2000/3, p. 117-160.

32 Selon Claude Blanckaert, « le concept de “race” n’a pas vers 1800 l’acception restrictive, biologisante, qu’il aura ultérieurement en anthropologie physique. Il dénote surtout une différence constante, à la fois dans la constitution corporelle et la physionomie “morale” ». Ce n’est qu’à la génération suivante, vers 1820, que s’affirme la « science des races ». Voir Claude Blanckaert, « 1800. Le moment“naturaliste” des sciences de l’homme », op. cit., p. 139 (cf. note 31).

33 L’identification du voyage dans l’espace à un voyage dans le temps, proposée par Joseph-Marie de Gérando, tout à fait caractéristique de ce nouveau paradigme, est rapidement devenue un topos : le contacta vec les « peuples sauvages », « antiques et majestueux monuments de l’origine des temps », placerait le voyageur philosophe « aux premières époques de notre propre histoire ». Joseph-Marie de Gérando, Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l’observation des peuples sauvages, in Jean Copans, Jean Jamin (dir.), Aux origines de l’Anthropologie française. Les mémoires de la Société des observateurs de l’homme en l’an VIII, Paris, Le Sycomore, 1978 (1re éd. 1800), p. 127-169, citation p. 131-132.

34 Alfred Fierro, La Société de géographie, 1821-1946, Paris, Champion, 1983, annexe 3 : « Prix et récompenses pro- posés par la Société de géographie entre 1822 et 1834 », p. 247-248. 15

35 Distribution primitive du genre humain à la surface du globe, par Mr le Colonel Bory de St Vincent, planisphère reproduit dans le cahier en couleur de ce numéro, p. 2.

36 Bory de Saint-Vincent est polygéniste.

37 Gesellschaft für Erdkunde zu Berlin, fondée en 1828. Lachaire de géographie créée à Berlin en 1820 est aussi la première en Europe.

38 Carl Ritter, « Généralités sur les formes solides de l’écorce terrestre », Géographie générale comparée (Die Erdkunde, t. 1, Berlin, G. Reimer, 2e éd., 1822), in Introduction à la géographie comparée, trad. Danielle Nicolas-Obadia, introduction et notes de Georges Nicolas-Obadia, Paris, Les Belles Lettres, 1974, p. 80-102 ; discours prononcé le 14 décembre 1826 à l’Académie royale des sciences de Berlin, « De la position géographique et de l’extension des continents », in Introduction à la géographie comparée, op. cit., p. 103-118.

39 Carl Ritter, « De l’organisation de l’espace à la surface du globe et de son rôle dans le cours de l’histoire », in Introduction à la géographie comparée, op. cit., p. 166-199 (cf. note 38). Le même ouvrage donne aussi la traduction d’Élisée Reclus, publiée en 1859 sous le titre : « De la configuration des continents sur la surface du globe et deleurs fonctions dans l’histoire », ibid., p. 221-241. Ce sontdes extraits de cette traduction que nous reproduisons en encadré.

40 Voir encadré, p. 18.

41 Concernant l’intérieur de ces continents, Ritter semble avoir peu tenu compte des descriptions proposées par les récits d’exploration de son temps: Dietmar Henze, «Afrika im Spiegel von Carl Ritters “Erdkunde” », in Karl Lenz (dir.), Carl Ritter, Geltung und Deutung, Beiträge des Symposiums anlässlich der Wiederkehr des 200. Geburtstag von Carl Ritter, November 1979 in Berlin, Berlin, Dietrich Reimer Verlag, 1981, p. 155-163.

42 James Rennell, Construction de la carte d’Afrique, 1790, texte publié à l’appui de la carte des voyages de John Ledyard et Simon Lucas, in Proceedings of the African Association (London, 1790), traduction française in John Ledyard, Simon Lucas, Voyages en Afrique, Paris, Xhrouet, 1804, p. 271-275.

43 Id. L’image de la peau de léopard est attestée chez Strabon (Géographie, II, 5, 33) et dans La Périégèse de Denys d’Alexandrie, à propos de la Libye.

44 Id.

45 Sur la diffusion et la réception de ce modèle, voir Christophe Brun, « Configuration géographique “européenne” et dynamique d’innovation : sur l’hypothèse d’un engendrement mutuel depuis Strabon », in Vincent Jullien, Efthymios Nicolaïdis, Michel Blay (dir.), Europe et sciences modernes. Histoire d’un engendrement mutuel, Berne, Peter Lang, 2012, p. 309-345, en particulier p. 318-321.

46 Voir Christophe Brun, ibid.,p. 323-329 ; « Une géohistoire de l’innovation », in David Cosandey, Le secret de l’Occident. Vers une théorie générale du progrès scientifique, Paris, Flammarion, 2007 (1 reéd. 1997), p. 11-94.

47 Cette théorie, et le plan d’action qui en résulte, a été exprimée une première fois dans la Revue de Paris en 1896, puis dans un recueil d’articles, sous le titre « Les résistances et la pénétration »: Gabriel Hanotaux, Le partage de l’Afrique. Fachoda, Paris, Flammarion, 1909. Elle est reprise de façon synthétique in Gabriel Hanotaux, Le Général Mangin, Paris, Plon, 1925, passim, appendiceII : « Le programme français de l’expansion civilisatrice en Afrique», p. 92-95.

48 Gabriel Hanotaux, Le partage de l’Afrique, op. cit., p. 19 (cf. note 47).

49 Gabriel Hanotaux, Le Général Mangin, op. cit., p. 18-19 (cf. note 47).

50 Isabelle Surun, « Sénégal et dépendances. Le territoire de la transition impériale (1855-1895) », mémoire inédit d’habilitation à diriger des recherches, Institut d’études politiques de Paris, 2012, p. 32-36.

51 “The set of spatial structures through which people order their knowledge of the world: the often unconsciousframe-works that organize studies of history, sociology, anthropo-logy, economics, political science, or even natural history”, Martin Lewis, Kären Wigen, The Myth of Continents: A Critique of Metageography, op. cit., p. ix (cf. note 1).

62 Martin Lewis, Kären Wigen, The Myth of Continents: A Critique of Metageography, op. cit., p.194 (cf. note 1).

63 Ibid., p. 186.64 Dipesh Chakrabarthy, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 (1re éd. 2000).








Créé: 12 oct 2014 – Derniers changements: 21 oct 2014