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Pierre-Amiel Giraud citant en 2010 mon livre Le Secret de l'Occident (édition 2007), pour décrire la "coopétition" unissant les groupes rivaux de développeurs de programmes informatiques en langages libres de droits dans la région de Bordeaux (France).
(Pierre-Amiel Giraud: "Les Territoires du Libre en Aquitaine", mémoire de master de l'Université de Bordeaux 3 Michel de Montaigne, UFR de Géographie et Aménagement, 25 juin 2010, 146 pages)

Copie de sûreté de la version internet: mai 2013. Docu PDF. Source.
Théorie du miracle européen
Cosandey





Extraits


page 79

On remarque de nouveau que la notion d’appartenance à un GUL [note du webmestre: GUL ou GULL = Groupe d'Utilisateurs de Logiciels Libres, càd association de passionnés développant des logiciels informatiques en langages libres de droits et publics] est très floue. Par ailleurs, en plus de cette circulation d’informations et de membres entre les deux, GiroLL et l’ABUL [note du webmestre: les deux principaux GUL concurrents de Bordeaux] coorganisent des événements, comme ce fut le cas pour la deuxième journée des Cultures Libres. À cette occasion, j’ai pu constater que la visibilité du logo de GiroLL sur l’affiche était un véritable enjeu pour les membres, puisqu’il s’agit d’une reconnaissance de leur participation en tant qu’acteur syntagmatique autonome. D’un point de vue que je qualifierais d’anthropologique, cette appartenance à de multiples groupes fait du libriste un archétype de l’homme moderne, dont la structure est plissée, pour reprendre l’image de Bernard Lahire [Lahire, 1998].

Cependant, d’un point de vue politico-économique qui me paraît ici plus fertile, il me semble que nous nous rapprochons de la configuration qualifiée de méreuporique par David Cosandey [Cosandey, 2007]. L’auteur la définit comme une division politique stable qui engendre la prospérité économique. Pour lui, cette division permet à chaque acteur de développer des solutions adaptées aux problèmes qui lui sont propres, tout en pouvant échanger avec les autres. Il me semble, mais cela mériterait des recherches plus approfondies, que l’on est dans une situation proche de la coopétition. Cosandey prend notamment un exemple, celui du train à grande vitesse. Les recherches européennes, concomitantes mais non intégrées, ont amené à trois solutions: une allemande (ICE), une française (TGV) et une italienne (Pendolino). Chacune est adaptée à la géographie physique de son pays d’origine. Si les recherches avaient été intégrées, un seul modèle aurait finalement vu le jour.

Il me semble qu’il en va de même à la fois pour le fonctionnement des forges de développement — [laquelle] confère la multiplicité des distributions GNU/Linux dont l’arbre généalogique n’est pas sans rappeler la structure fissipare des Églises protestantes d’Afrique de l’Est — pour les GUL et pour les consortiums d’entreprises, qui favorisent aujourd’hui les rapprochements ponctuels ou thématiques au sein de structures légères [Élie, 2009, pp.75-83]. La favorisation de liens faibles aux dépens de liens forts revient à privilégier des structures souples, adaptables, et qu’aucun acteur syntagmatique même très impliqué ne peut prétendre maîtriser ou contrôler. Autrement dit, aucune partie ne peut prétendre y représenter légitimement le tout.



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Ensuite, il faut rendre compte de manière précise des modalités de ces transferts de modèle, à la fois à travers les entretiens déjà cités et l’observation participative. Nous espérons ainsi mieux comprendre comment se structurent les communautés d’activistes, mais aussi comment se construisent des territoires autour de liens s’établissant entre ces communautés, les entreprises de logiciel libre (SSLL et développeurs) mais aussi les entreprises et collectivités territoriales qui mutualisent leurs logiciels voire leur DSI (Direction des Services Informatiques). Nous pensons mettre ainsi en évidence le transfert du modèle du « bazar » [Raymond, 1999], réinterrogeant ainsi les notions de réseau, de connexité et de connectivité, de lien fort et de lien faible. Ceci pourrait aboutir à revaloriser la notion de méreuporie [Cosandey, 2007].

Par capillarité ascendante ou par des modes de diffusion qu’il reste à élucider, ce modèle semble également se transférer des acteurs du libre à la société englobante. Cette élucidation pourra être accomplie par l’étude de la dimension diachronique du phénomène et une analyse fine des multiples appartenance des acteurs en jeu, véritables « hommes plissés » pour reprendre l’expression de Bernard Lahire [Lahire, 1998]. Nous espérons ainsi apporter une réflexion intéressante sur les échelles et les temporalités de la diffusion du logiciel libre, et renouveler les modèles de diffusion des innovations dominant en géographie qui, nous le pensons, vont se révéler insuffisants. On pourra par exemple user d’une approche qualitative en adaptant à nos besoins les protocoles utilisés par M@rsouin pour étudier les causes d’usage et de non-usage des logiciels libres.





Créé: 20 mai 2013 – Derniers changements: 20 mai 2013