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Une brève évocation en mars 2009 de mon livre Le Secret de l'Occident (2007)
par l'historien Olivier Pétré-Grenouilleau, dans une tentative de définir
et de classifier les différentes philosophies de l'histoire. Un extrait de
l'article est reproduit ci-dessous.
(Olivier Pétré-Grenouilleau: "La Galaxie histoire-monde", Le Débat, no 154, Copie de sûreté de la version papier: |
( . . . )
Une généalogie complexe La chose est apparemment entendue, l'histoire-monde (expression générique que l'on retiendra ici) [commentaire: c'est-à-dire la world history, ce courant universitaire présentant l'humanité comme ayant toujours été animée d'une dynamique commune, à l'échelle planétaire, et considérant que les différences de développement entre civilisations ont toujours été mineures] est de création récente. Il n'y a en effet guère plus d'une vingtaine d'années que les divers vocables utilisés afin d'en parer le drapeau ont commencé à fleurir. Mais la chose n'existe-t-elle pas avant le mot pour le dire? Si l'histoire-monde se définit (au moins en partie) par la volonté de s'intéresser à l'histoire de l'humanité dans son ensemble, alors n'apparaîtrait-elle pas déjà avec la tradition judéo-chrétienne issue de la Bible (qui serait évidemment à comparer avec l'approche de l'histoire-monde dans les autes grandes traditions, asiatiques, musulmanes et autres)? Rien de comparable, en effet, ici, avec certaines histoires dites "générales" ou "universelles" plus tardives, comme |
celle de Bossuet, où,
de fait, on s'intéresse uniquement à son propre monde, à sa société, à son temps, bref, à
soi-même. On pourrait objecter que, tendant, dans sa version judéo-chrétienne, à réduire l'histoire
de l'humanité à celle de sa marche vers la reconnaissance de la parole divine,
ce messianisme n'a pas grand-chose à voir avec ce que l'on entend aujourd'hui
par histoire. N'oublions pas, cependant, que c'est ainsi que l'histoire fut entendue,
pendant des siècles, par un grand nombre de personnes. Le péché d'anachronisme, que l'on
est si prompt à repérer dès lors que l'on fait de l'histoire, tend parfois trop facilement
à réapparaître dès lors qu'il s'agit d'historiographie.
Cette approche messianique de l'histoire de l'humanité n'est d'ailleurs pas si éloignée de la tradition dite des philosophies de l'histoire, des Leçons d'un Hegel ou des considérations d'un Saint-Simon. Ruses de l'histoire ou bien analyse minutieuse du passé afin d'en discerner des lois permettant d'accompagner au mieux son cours inévitable ne renvoient-elles pas, en effet, à une version laïcisée d'un certain messianisme faisant de l'homme l'otage d'une hiistoire qu'il ne peut qu'essayer d'amadouer en devenant conscient, et donc, en partie, acteur (1)? A mon sens, il y a là un premier niveau d'appréhension de l'histoire-monde. Un niveau à part entière, avec ses deux versions, religieuse et laïque, que l'on pourrait qualifier d'histoire universelle classique. Il conduit à des histoires messianiques et (ou) téléologiques d'une humanité conçue comme une Idée, un accomplissement en devenir. Combattu mais aussi illustré par le marxisme qui assigne, lui aussi, un sens à l'histoire 1. En partie seulement, car les philosophies de l'histoire ressortissent aussi à un courant tout à fait original, irréductible à cette idée trop siimple de laïcisation, comme l'a montré Bertrand Binoche (La Raison sans l'histoire, Paris, PUF, 2007). |
courant a été progressivement délaissé par l'histoire académique, sans être par ailleurs
totalement abandonné. Un ouvrage comme L'Esquisse d'une histoire universelle
de Jean Baechler (2) pourrait l'illustrer, au moins à en juger au seul vu de son titre.
Car, en réalité, il ne relève pas, à mon sens, de l'histoire universelle classique.
Notamment parce qu'il est aussi une analyse de la modernité historique, et qu'il
propse plus une combinatoire à méditer qu'un mouvement finaliste. En revanche, par
sa recherche de lois cachées du développement historique, et surtout par son idée
d'une respiration plus ou moins synchronique de différentes histoires singulières
à l'oeuvre sur notre planète, Le Système de l'histoire de Robert
Bonnaud (3)
renvoie, lui, assez nettement au type (en partie renouvelé) des philosophies de
l'histoire. Il est remarquable que ce genre ait tendu à resurgir au cours de ces
dernières années, avec des travaux débordant parfois du cadre académique classique,
voire s'en extrayant totalement, comme ceux de Lucian Boia, L'Occident, une
interprétation historique (4) de Jared Diamond Effondrement. Comment les
sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (5), ou encore de
David Cosandey, Le Secret de l'Occident. Vers une théorie générale du progrès
scientifique (6).
N'étant généralement pas le fait de véritables
historiens, ces travaux sont souvent écartés d'un revers de manche. Trop rapidement
car leur recrudescence et leur succès auprès du public indiquent qu'il y a là un type
d'interrogations d'échelle "globale" auquel des scientifiques
[commentaire:
le terme "universitaires en poste" aurait été mieux choisi]
(comme un Max Weber)
savaient auparavant s'atteler. Pourquoi ce champ ne pourrait-il pas être à nouveau
réinvesti par eux, et leur retour n'y serait-il pas civiquement utile? Par ailleurs,
venant parfois des sciences "dures", les auteurs de ces ouvrages sont conduits
à aborder l'histoire avec des outils originaux que
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les historiens de profession pourraient au moins essayer de commenter.
Enfin, même critiquables, ces vastes synthèses forcent toujours à penser autrement,
à se "dépayser", ce qui, heuristiquement, n'est jamais inutile. Sorte de butte
témoin, ce courant de pensée nous signale que l'histoire de l'humanité que
l'on tente parfois aujourd'hui d'atteindre renvoie de fait à une longue quête
au cours de laquelle les approches et les finalités ont évidemment évolué.
( . . . )
2. Paris, Fayard, 2002. 3. Paris, Fayard, 1989. 4. Paris, Les Belles Lettres, 2008. 5. [2005], Paris, Gallimard, 2006. 6. [1997], Paris Flammarion, 2007. |
Créé: 04 sep 2010 Derniers changements: 04 sep 2010
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