Le Secret de l'Occident
Vers une théorie générale
du progrès scientifique.
David Cosandey,
Champs Flammarion,
864 p., 15€.
Nouvelle édition
mise à jour.
David Cosandey,
après des études
de physique
théorique,
travaille dans
la gestion du
risque financier
en Suisse.
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Question fondamentale de votre livre: pourquoi la science
et l'industrie ont-elles connu une si longue période de développement en Europe ?
Mon hypothèse est que le développement scientifique se nourrit
de deux conditions nécessaires et suffisantes : d'une part,
la prospérité économique, d'autre part, une division politique stable.
Un terme résume à lui seul ces deux aspects: la «méreuporie»,
du grec meros, «diviser», et euporeos, «être dans l'abondance».
On peut dire que l'Occident a réussi parce qu'il a bénéficié à long terme
d'une meilleure méreuporie que les autres civilisations : l'Islam,
l'Inde et la Chine... Un état de fait qui lui garantit la supériorité
industrielle, l'aisance matérielle et le pouvoir politique que l'on sait.
Comment êtes-vous parvenu à cette conclusion ?
J'ai d'abord examiné, à travers les travaux déjà publiés sur le sujet,
les hypothèses avancées par mes prédécesseurs pour expliquer la suprématie
scientifique de l'Occident : depuis la religion, l'ethnie, jusqu'au hasard,
en passant par le climat. J'ai essayé de tester la validité de ces
hypothèses sur trois millénaires de développement scientifique au Moyen-Orient,
en Inde, en Chine et en Occident. Aucune ne m'a semblé résister à cette épreuve.
L'examen minutieux des différentes périodes m'a en revanche permis
de formuler les deux conditions que sont la division politique stable
et la prospérité économique. En effet, chaque fois que ces deux conditions
se sont trouvées réunies, cela a donné lieu à une avancée des sciences,
quelles que soient l'époque et la civilisation. Un exemple parmi d'autres:
entre 700 et 200 avant notre ère, la Chine était opulente et partagée
en plusieurs royaumes. Elle a alors connu un intense essor techno-scientifique.
Avec plus de mille ans d'avance, les Chinois ont inventé l'acier. Puis,
entre 200 avant J.-C. à 200 après, l'Empire a mis fin à la division
politique stable et ce fut le déclin des sciences. Ce n'est qu'entre
900 et 1300 qu'une autre période prolongée de division stable et de
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croissance a vu le jour. Ce qui a déclenché
un nouvel épanouissement des sciences, avec notamment le développement de l'algèbre,
la cosmologie, et l'invention de la jonque de haute mer équipée de boussoles nautiques.
Qu'est-ce qui a fait durer cette excellente «méreuporie» occidentale ?
Mon hypothèse est que c'est sa configuration géographique qui a favorisé
l'Europe occidentale, ce que j'appelle sa «thalassographie articulée».
La mer toujours proche a facilité le commerce. En outre, les Etats protégés
par davantage de frontières maritimes, comme l'Angleterre et la France, ont
pu se consolider et durer. Il en a résulté une division en général plus stable
et une économie en moyenne plus florissante qu'ailleurs...
Quelles réflexions vous suggère ce travail ?
Je me suis interrogé sur la question de la spécificité de l'Occident
lorsque j'étais adolescent. J'avais alors la passion des cartes
géographiques et j'étais un lecteur assidu de livres d'histoire,
de philosophie et d'économie. Mais je ne trouvais pas de réponse vraiment
satisfaisante à mon interrogation. D'où les dix années passées à élaborer
ce travail...
Quant aux réflexions qu'on peut en retirer, il y a tout d'abord le fait
qu'une suprématie scientifique, comme celle de l'Occident actuellement,
n'est jamais acquise éternellement. Elle va à la région qui réunit le mieux
les deux conditions nécessaires. Pendant le bref âge d'or des sciences arabes,
l'Occident était plongé dans une période d'ignorance. En outre, cette étude
démontre que, pour le développement scientifique, une unification planétaire
serait néfaste. Il vaut mieux avoir une concurrence entre plusieurs Etats
distincts, même à échelle locale, comme aujourd'hui dans le golfe Persique
entre le Bahreïn, le Qatar et les Emirats arabes unis, ou encore avec la Chine,
engagée dans une vive concurrence avec l'Inde et le Japon... Et bien sûr,
à échelle mondiale, entre l'Union européenne, les Etats-Unis et le Japon.
Propos recueillis par Azar Khalatbari
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