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Un interview de moi, par Jean Ammann, parue le
(La Liberté, Fribourg, édition papier, mardi 30 oct. 2007, p.31, pages "Magazine", rubrique "Histoire"). Copie de la version papier |
Il a percé le «secret de l'Occident»
HISTOIRE · Pourquoi la science moderne est-elle née en Europe, et non pas en Chine ou en Inde? Dans un essai monumental, David Cosandey explore trois mille ans de civilisation. Brillant. |
JEAN AMMANN
Oubliez Diderot et Max Weber, oubliez Boulding et Lévi-Strauss,
ne gardez que Cosandey! Les Editions Flammarion, dans leur collection
Champs, viennent de rééditer le monumental «Le secret de l'Occident»,
publié une première fois en 1997 aux Editions Arléa. Dans ce livre,
le physicien David Cosandey élabore «une théorie générale du progrès
scientifique». Il répond à cette question: pourquoi la science moderne
est-elle née en Europe, et non pas en Chine, en Inde ou dans l'empire
islamique? Et pourquoi l'Europe fut-elle la seule à déboucher sur la
révolution industrielle? En le lisant, en l'écoutant, on se dit que
David Cosandey a dû expérimenter le vertige décrit par Paul Valéry:
"Il nous est des moments où notre pensée nous apparaît dans l'instant
plus riche que nous, grosse de plus de conséquences, profonde de plus
de profondeur que nous n'en pourrons jamais explorer." Entretien.
Vous avez finalement une vision très libérale du développement des sciences: selon vous, la concurrence est indispensable à l'expression de l'ingéniosité humaine... David Cosandey: Il faut être prudent avec l'étiquette libérale, mais je suis bien obligé de reconnaître le rôle énorme que joue la concurrence dans le développement des sciences et des techniques. Je considère la concurrence comme l'une des motivations les plus profondes et les plus fortes de l'espèce humaine. Si la Chine ou Rome, dites-vous, n'ont pas abouti à la révolution scientifique, c'est parce que ces empires n'avaient pas de rivaux... Oui, quand l'empire devient unique, il n'y a plus de concurrence entre les Etats et par conséquent, il n'y a plus de soutien aux chercheurs qui pourraient, par leurs inventions, renforcer la puissance militaire ou le prestige de l'Etat. |
Il y a, selon vous, deux conditions indispensables à l'essor scientifique:
d'abord la prospérité économique et ensuite, ce que vous appelez la division
politique stable...
C'est exactement ce qui s'est passé en Grèce. A la fin des invasions doriennes, à partir du dixième siècle avant notre ère, la Grèce s'organise en plusieurs cités concurrentes et connaît, à la même époque, une longue période de prospérité économique. Ces deux conditions réunies, les Grecs ont vécu un essor scientifique sensationnel,
«Braudel l'avait vu avant moi: les cartes disent l'essentiel»
que l'on étudie encore aujourd'hui sous le nom du miracle grec. Ce miracle
s'est arrêté lorsque les armes développées par ces Etats rivaux, des armes
d'une puissance inouïe, ont dépassé les capacités de la plateforme grecque.
Dotée d'un armement surpuissant, avec des catapultes dévastatrices,
d'une marine redoutable, avec des galères à quatre ou cinq rangs de rameurs,
la Grèce se trouve en possession d'une force inadaptée aux limites de son territoire.
Les Etats-cités succombent au plus grand d'entre eux, la Macédoine, qui les unifie
sous le règne de Philippe. Là, le miracle grec s'arrête une première fois.
Il repartira lorsque, après la conquête des régions environnantes et de l'Empire perse
sous Alexandre, les Grecs se diviseront à nouveau en Etats stables. Le deuxième miracle
économique et scientifique durera une centaine d'années (jusque vers 200 av. J.-C.).
A partir de ce moment, ça tourne mal: le déclin démographique s'amorce et il
entraînera un déclin économique.
Etes-vous d'accord avec ceux qui disent que la Grèce antique s'est arrêtée aux portes de la révolution scientifique qui sera celle de l'Europe entre 1500 et 1700? L'idée est fascinante. Les savants grecs avaient développé |
un canon en bronze expérimental (qui fonctionnait à l'air comprimé),
ce qui sera une étape fondamentale à la fin du Moyen Age. Ils avaient
découvert le mouvement accéléré, qui contredisait l'affirmation
d'Aristote selon laquelle il n'y avait qu'un mouvement uniforme
(une vitesse constante). En Europe occidentale, où l'influence d'Aristote
fut énorme, il faudra attendre le Moyen Age pour revenir au mouvement
accéléré. Dans ses traités, Aristarque de Samos (vers -300) avait postulé
l'héliocentrisme, qu'en Europe Copernic ne reprendra qu'au début du XVIe siècle...
S'ils avaient continué sur leur lancée, les Grecs auraient très bien pu
aboutir vers le premier siècle après J.-C. à ce qui sera notre Renaissance.
Cela montre bien que sans division politique stable et sans prospérité
économique, il n'y a pas de progrès scientifique.
La Chine aussi est passée tout près de la révolution technique... Vers 1300, la Chine s'est arrêtée sur le seuil de la révolution industrielle, lorsque la dynastie mongole s'est imposée à tout l'empire. Au cours de son histoire, la Chine a connu deux périodes d'intenses progrès scientifiques et culturels. D'abord, entre -700 et -200, ensuite entre 900 et 1300. Là, la Chine a fait des avancées remarquables sur le plan de l'astronomie, de la mathématique, de la physique, de la chimie et de la biologie. A chaque fois, ces phases progressistes ont cessé avec l'unification totale du pays. Si l'on s'amuse à refaire l'histoire, on peut dire que la Chine aurait probablement déclenché la révolution industrielle vers le XVe ou le XVIe siècle. Pourtant, c'est en Europe que naîtra la révolution industrielle. Pourquoi? Parce que c'est en Europe que se trouve la meilleure interpénétration des eaux et des terres! L'Europe a la chance de disposer d'une thalassographie articulée. Je veux dire par là qu'avec ses golfes et ses pénin- |
David Cosandey: «La révolution industrielle s'est produite en Europe
parce que c'est en Europe qu'il y a la meilleure interpénétration
des eaux et des terres.»
VINCENT MURITH
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Je crois à l'ingéniosité des hommes»
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Créé 10 nov 2007 Derniers changements: 21 oct 2014
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