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Une critique de mon livre Le Secret de l'Occident par Roger-Pol Droit, dans le quotidien français d'audience nationale Le Monde du 05 octobre 2007, à l'occasion de sa sortie le 17 septembre 2007 en édition de poche.
(Le Monde, Paris, édition papier, vendredi 05 octobre 2007, Supplément Le Monde des Livres, rubrique "Essais", p.8).
Copie de la version papier oct 07. Version PDF: PDF (petit). PDF (grand).
Théorie du miracle européen
Cosandey





L'Occident, sa vie, son œuvre

  c h r o n i q u e


ROGER-POL DROIT    

Il était franchement pâlot, l'Occident, il y a mille ans. Dans sa prime jeunesse, en Grèce, autrefois, on l'avait bien pris, effectivement, pour un surdoué. Il avait même grandi, à Rome, en prenant des forces et de l'assurance de façon spectaculaire. Mais, depuis que l'Empire s'était effondré, les invasions aidant, il n'était plus que l'ombre de lui-même. Toute l'Europe de l'Ouest végétait, mal peuplée, mal nourrie, mal policée. La civilisation était ailleurs: à Byzance, à Bagdad, à Bénarès ou à Pékin. Celui qui aurait observé la planète depuis Sirius n'aurait pas parié sur les chances de ces paysans attardés, superstitieux et sales, d'être un jour maîtres du monde. Les sciences, les arts, les villes, l'avenir, tout était alors en lnde, en Chine, en Arabie. Pas en Occident.
    Que s'est-il donc passé pour qu'aujourd'hui la planète entière soit sous influence occidentale? Plus ou moins, assurément, et pas en tous domaines. Toutefois, nul ne peut nier que l'ensemble de l'hu-
      
manité vit à présent dans un monde très largement configuré par les techniques, les idées, et les modes de vie nés dans ces contrées qui paraissaient, hier, à la traîne. Pourquoi le monde ne s'est-il pas orientalisé, au lieu de s'occidentaliser? Quel est le ressort caché de ce succès, à la fois économique, intellectuel, scientifique, militaire, politique? Ce succès est-il durable? Est-il miné du dedans, promis au déclin, l'entamant déjà?
    Un grand nombre d'auteurs, depuis plus d'un siècle, de Spengler à Diamond, se sont cassé les dents sur ces questions. Les uns cherchaient à expliquer l'ascension de la puissance occidentale par la supériorité de la race blanche, de la religion chrétienne, par les atouts du climat et les ressources du milieu naturel. D'autres mettaient l'accent sur l'économie, la puissance militaire, la volonté de conquête ou l'environnement. Sous la profusion des explications et la multiplicité des causes envisagées, le mystère de ce processus demeure.
      
    Lucien Boia, connu comme essayiste original, s'attaque à ce vaste sujet en publiant L'Occident. Une interprétation historique. Il retrace les péripéties de la success story européenne en soulignant ses principaux outils, comme l'horloge, le moulin, le livre. La singularité de cette civilisation réside à ses yeux dans ce qu'elle privilégie: les nouveautés, les mutations, les ruptures – face à des cultures qui valorisent, à l'inverse, la répétition, la
L'Occident
Une interprétation historique

de Lucien Boia
Les Belles Lettres, 248 p., 19 €.

Le Secret de l'Occident
Vers une théorie générale
du progrès scientifique

de David Cosandey
Présentation de Christophe Brun
Flammarion «Champs», 864 p., 15 €.


stabilité, l'immobilisme. Ce qui fait la force de l'Occident, ce serait donc sa propension au déséquilibre dynamique. Voilà une remarque que David Cosandey, l'auteur du Secret de l'Occident, ne contredira pas.
    Mais son analyse va bien plus loin, avec une grande originalité. Car cet ingénieur suisse, qui n'est
      
pas du sérail des professionnels des sciences humaines, a mis au point une théorie du développement culturel tout à fait singulière, qui vaut qu'on s'y arrête. A ses yeux, pour voir se développer pleinement des sciences et des techniques, et une grande civilisation, les conditions nécessaires sont une économie florissante et une «division politique stable», plusieurs Etats concurrents plutôt qu'un seul Empire. Mais il faut aussi de l'eau et des côtes, une structure ramifiée des voies maritimes dans un maillage assez dense de fleuves, d'îles et de péninsules.
    Cosandey s'est souvenu de Braudel affirmant: « Les cartes disent l'essentiel.» Le secret de l'Occident résiderait donc dans son exceptionnel rapport entre mers et terres, du nord au sud. Des Etats rivaux et cependant interdépendants, des voies d'échanges multiples, rapides, peu coûteuses, à haut débit, voilà la clé du décollage de l'Occident. La clé, pas la cause. Il faut comprendre cette «thalassographie articulée» comme une sorte de catalyse accélératrice. Rien à voir avec un déterminisme strict. A l'échelle des régions, le découpage maritime a favorisé l'essor grec, comme le miracle japonais. A l'échelle des continents, il a fourni à l'Europe un avantage décisif.
      
    A l'échelle planétaire, les océans procureraient aux terriens un avantage incontestable sur les habitants de la planète Mars, ou sur les indigènes de tout astre sec. Cette hypothétique rivalité étant actuellement sans objet, et l'occidentalisation ayant
      
depuis belle lurette fait le tour du globe, il ne reste plus à l'Occident qu'à tourner en rond. Ce qu'il fait, on le constate chaque jour, avec application et constance. Va-t-il redevenir franchement pâlot, comme au Moyen Âge? C'est une éventualité. RPD










Créé: 07 oct 2007 – Derniers changements: 18 sept 2014